Portrait
Arpenteur du monde
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© Jamel Bahli
Baskets ok, sac à dos ok, passeport ok, mini Ipad ok. Billet d’avion ? Inutile. GPS ? Poubelle. Réservation Airbnb ? Et pourquoi pas du « all inclusive » dans un club de vacances… Jamel Balhi voyage ultra léger, sans point de chute prémédité, assistance ou logistique, à la seule force des jarrets. Depuis le milieu des années 1980, il martèle de sa foulée souple le bitume, les pistes, les sentiers de la planète dont il soulève les replis. Cet aventurier- voyageur, photographe et écrivain qui régale les lecteurs du TMagazine de ses récits de voyages court là ou d’autres roulent, marchent, pédalent. Son cœur aux pulsations de marathonien l’aide un peu beaucoup dans son entreprise vaste comme le monde.
27 000 kilomètres en courant
Allonger la foulée n’a, chez lui, rien d’une coquetterie. La course est son mode de communication et de rapport aux autres. Son deuxième cerveau n’est pas son intestin mais dans ses pieds. 186 pays traversés à ce jour paraît-il, mais certainement davantage. Une nouvelle destination en pousse une autre. Elle vient gonfler une liste longue comme le poème indien du Mahabharata. Alaska, Pakistan, Arabie Saoudite, Burkina Faso, Madagascar, Australie, Amérique du Sud, Asie du Sud-Est, route de la soie, Iran… Macao ce mois-ci et la Chine en point de mire. Autant de voyages où grandes et petites histories s’entremêlent avec ses pics d’incandescence et des souvenirs pour l’éternité plus un jour.
« L’une de mes plus grandes frayeurs fut mon arrestation dans la jungle du Panama par un commando militaire lors de ma descente de l’Alaska vers la Patagonie. La dizaine de soldats surarmés a vu en moi un représentant de la guérilla des FARC et ma grosse crainte était de me voir exécuter sur place. » Profitant d’une halte au bord d’une rivière, il avait pu prendre ses jambes à son cou jusqu’à la frontière colombienne.
Sur le plan humain, ses pays les plus marquants sont, à ce jour, la Turquie et l’Iran « pour la grande générosité de ces peuples et pour l’hospitalité dont je fais l’objet à chacun de mes séjours », explique-t-il. Sa rencontre la plus forte a eu lieu en juillet 1996 à la cité du Vatican, durant son voyage reliant les villes saintes du monde. « Le Pape Jean Paul II m’avait reçu en audience privée. J’avais l’impression de parvenir au sommet de l’Everest du monde catholique. Un moment de grâce aussi. »
Où placer le curseur de la toute première fois où Jamel Balhi a pris la route ? « J’avais 24 ans en 1987 et j’avais décidé d’aller retrouver à Shanghaï un ami chinois. » Il s’en suivra deux années de préparation et un périple de 18 mois, avec la décision de pousser toujours plus vers l’est du globe, la Corée du Sud, le Japon, les États-Unis, l’Europe du nord avant un retour en France. Bilan, un tour du monde de 27 000 kilomètres en courant qui lui vaut d’entrer dans le Guiness Book.
Mais cet ambassadeur de l’UNESCO accorde peu d’intérêt à ce genre de record. Son ressort est ailleurs. « Courir est le moyen le plus évident que j’ai trouvé pour aller à la rencontre des gens sans effraction, découvrir leur culture, partager leur quotidien, comprendre leur spiritualité. J’ai toujours eu envie de me faire une opinion par moi-même sur les choses, alors autant me rendre sur place. » Jamel Balhi appréhende ses voyages comme des ponts lancés entre les hommes. « Un inconnu est un ami qu’on n’a pas encore rencontré. »
Un reportage parti à dos de yack
Jamel ne s’est pas improvisé coureur au long cours. Il l’est devenu après un grave accident de moto à 20 ans. « Courir est devenu mon ballon d’oxygène et ma source de vie, avant de devenir mon métier. » Ce lyonnais monté en région parisienne avait découvert Tremblay dans les années 1990 en joggant le long du canal de l’Ourcq. « J’ai fait connaissance avec le TAC athlétisme et son président d’alors Pierre Colombier. J’y ai pris ma licence et maintenant, je l’ai à vie », dit-il avec fierté.
Après ses proches, Tremblay est son second port d’attache. Depuis 1996, il y distille ses carnets de route. « Je consigne sur un petit calepin le tout-venant susceptible de servir à la rédaction de mon reportage. » La rédaction peut se faire n’importe où – banc public, plage, chambre… – et généralement le soir. Avant l’arrivée d’Internet, des ordinateurs portables et des Ipad, il envoyait ses chroniques par courrier postal, écrites au stylo sur des feuilles A4.
« En 1997, j’avais posté un reportage et une pellicule de diapos depuis le Tibet. Le courrier était parti à dos de yack tiré par un facteur. » Aujourd’hui, grâce au web, aux cyber-lieux et au wifi envoyer ses écrits est moins anxiogène. « Je rédige sur un mini-IPad. C’est pratique et efficace. » Il lui suffit ensuite de trouver du wifi. « Je suis devenu un expert en dénicheur de réseaux », dit-il avec humour. Du réseau, il ne devrait pas en manquer en Chine, sa prochaine destination.
Auteur : Frédéric Lombard