En Floride
Jamel Balhi nous donne cette fois rendez-vous dans le célèbre État, où la démesure et le rêve américain restent d’actualité. Petit tour entre Miami et Key West…
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© Jamel Balhi / Ville de Tremblay-en-France
Texte et photos Jamel Balhi . Mars 2025
Le lieu et le climat chaud s’y prêteraient bien ; pourquoi pas une bière sous le ciel tropical de Miami. Dans une pharmacie Walgreens de Miami beach (il s’y vend aussi bien des médicaments que de la bière) la jeune caissière hispanique ne parle aucun mot d’anglais mais parvient à m’expliquer que je dois lui prouver que j’ai plus de 21 ans, la majorité aux USA. « aïdi ! aïdi ! », (i.d, pour identité).
Dois-je prendre cette injonction comme le signe d’un compliment, ou comme une obsession aveugle au règlement l’obligeant à vérifier l’identité de toute personne achetant de l’alcool, y compris celle d’un vieillard centenaire. “C’est la loi !”, ajoute l’employée sur un ton martial. Ainsi soit-il. Partout, le rappel à la loi démontre qu’il vaut mieux se plier aux règles du pays, au risque de finir au fond du trou dans une combinaison orange.

© Jamel Balhi / Ville de Tremblay-en-France
Mon espagnol se limite à une version bas de gamme en fonétik de la langue de Cervantès, et je vais devoir m’en servir dans Miami et en Floride où 70 % des personnes, originaires majoritairement des Caraïbes, sont hispanophones. La moindre supérette est gardée par un roboCop engoncé dans un impressionnant attirail de guerre : gilet pare-balles, matraque, bombe lacrymogène, menottes.
Dans la boutique Ross – sorte de magasin Action sur deux étages – je demande au garde de sécurité si je peux le photographier. Un pouce coincé sous chaque aisselle, yeux figés au loin, l’Afro-américain dans son uniforme bleu marine refuse catégoriquement d’un signe de la tête, sans un regard, sans un mot.
Petit robot livreur de pizzas
Miami Beach, langue de terre reliée à Miami par plusieurs ponts est une station balnéaire de haut-standing qui aligne le long de l’océan Atlantique ses façades de vieux hôtels au style Art déco, témoins d’un temps où la jeunesse roulait en Oldsmobile décapotable en écoutant du Chuck Berry et du Elvis.

© Jamel Balhi / Ville de Tremblay-en-France
La plage offre l’image aseptisée d’une usine de fitness en plein air, où les corps bronzés joggent le long des vagues après avoir sué sur des machines à muscles en accès libre sur le sable blanc. Un trentenaire promène son chien dans une poussette pour enfant tandis que passe un petit robot livreur de pizzas qui s’arrête à une intersection pour attendre que le signal passe au vert.
Je suis manifestement le seul à m’étonner de cette machine autonome bardée de capteurs, d’antennes et de voyants lumineux, avec sa boîte à marchandises inviolable sinon par son destinataire qui l’ouvrira à l’aide d’un code reçu sur son téléphone intelligent. Des petits cœurs rouges à la place des yeux pourraient donner un air sympathique à ce robot livreur, et nous faire oublier qu’un monde déshumanisé nous attend au coin de la rue. Sur le pavé de Miami, la star du moment n’est autre que le Cybertruck sorti des usines du grand démiurge Elon Musk.
Avec son exosquelette en acier gris inoxydable et ses lignes anguleuses, ce cyber truc aux allures de tank futuriste doté de plusieurs moteurs électriques, en impose au premier regard. Silencieux, ludique, avalant aussi bien le lit des rivières que les autoroutes… Tout compte fait, le futur, c’est pour aujourd’hui.

© Jamel Balhi / Ville de Tremblay-en-France
L’Amérique bouscule les standards jusque dans les toilettes publiques. Dans celles d’une galerie d’art du Financial district de Miami, en plus d’un espace séparé pour hommes, femmes, intermédiaires ou les indécis, je découvre derrière une porte portant l’inscription Everyone (tout le monde) un tout nouveau concept de toilettes. La porte s’ouvre en effet sur un petit salon avec son trône en émail blanc à proximité d’un moelleux fauteuil en velours.
Un petit coin qui permet en plus de tenir salon avec un alter ego. La pluie qui s’abat en ondées régulières sur la ville fait mentir le dicton local, “Là où le soleil vient passer l’hiver”. Un conducteur de bus éprouve de la pitié pour ses passagers montant tout ruisselants dans son bus et leur fait signe du bras de passer gratuitement. Gratuit… un mot rare dans le pays qui abrite le dieu Dollar, le plus puissant monothéisme du monde.
Sous le ciel exceptionnellement gris de Miami, les couleurs s’affichent dans Wynwood, la capitale mondiale du street art. Cet ancien secteur hispanique est un bel exemple de gentrification ; boutiques vintages, galeries d’art et restos branchés aux prix élevés ont remplacé hangars délabrés et ateliers désaffectés pour faire place nette aux grandes signatures des fresques murales. Donnez du temps, des moyens, des outils et de la liberté à des artistes de rue, ils vous transforment un quartier en musée à ciel ouvert ; mais les graffitis réalisés à la va-vite dans la clandestinité de la nuit méritent eux aussi d’être qualifiés d’œuvres d’art.

© Jamel Balhi / Ville de Tremblay-en-France
Peu de grandes villes américaines échappent à leur little Italy, little India ou little là-bas. Miami ne déroge pas à la règle avec son little Havana et ses ateliers artisanaux de cigares.
American way of life
Direction Key West pour le soleil de la Floride, le sud le plus au sud des Etats-Unis, jusqu’à la grosse borne rouge et noire marquée Southernmost point of the USA. Les Keys constituent un chapelet de centaines d’îlots et récifs coralliens qui s’égrènent à la pointe méridionale de la Floride. Les principaux Keys sont reliés par une succession de ponts, dont le fameux Seven miles bridge, un ruban de macadam qui se déroule sur onze kilomètres au milieu de l’océan. À droite, l’Atlantique ; à gauche, le bleu turquoise du Golfe du Mexique, récemment rebaptisé "Golfe d’Amérique" sur ordre de la nouvelle administration du président Donald Trump. Des vieux bikers au look de vétérans du Vietnam sur leur Harley-Davidson partagent la route avec des camping-cars aux formats inhabituels pour le commun des habitants de ce monde. Je vois même passer un mobil-home plus grand qu’un bus de transport en commun traînant un pick-up tout aussi démesuré, lui-même transportant deux quads à moteur. C’est l’American way of life en roues libres sur les routes des USA, dans toute sa démesure.

© Jamel Balhi / Ville de Tremblay-en-France
Une micro nation humoristique
Une atmosphère d’Amérique latine flotte dans les rues de Key West, où les trottoirs n’ont pas encore remplacé la terre battue et où les poules ont trouvé refuge au milieu de la circulation. Ce petit coin du monde sous les palmiers fut longtemps la terre d’accueil d’Ernest Hemingway, l’auteur du Vieil Homme et la mer, et prix Nobel de littérature. C’est aussi un paradis pour retraités. Les fauteuils à bascule sur le perron des maisons me donnent l’impression d’être dans la salle d’attente de Dieu. Le drapeau américain visible partout dans le pays, est accroché sur nombre de maisons.
Dans une Amérique post-électorale, ce symbole national ne dit pas grand chose des idées politiques de leurs propriétaires, cependant, certains locaux se montrent plus directs dans leurs opinions et placardent clairement une large affiche Trump 2024 sur la clôture de leur jardin. Donald Trump n’est jamais très loin. L’homme d’affaires le plus puissant du monde (et accessoirement président des Etats-Unis d’Amérique) possède sa Maison-Blanche d’hiver à Mar-a-Lago au nord de Miami.
Une casquette rouge estampillée MAGA (Make America Great Again) pourrait être le plus beau souvenir à rapporter de Floride. Un drapeau bleu clair, emblème de la République de Conch, est parfois ajouté à côté de la bannière étoilée.

© Jamel Balhi / Ville de Tremblay-en-France
La République de Conch est une micro nation humoristique fondée en 1982 par les habitants de Key West en signe de protestation contre un ancien contrôle frontalier imposé par le gouvernement fédéral des États-Unis. À l’époque, les autorités américaines installent un poste de contrôle sur la seule route reliant Key West au reste de la Floride, entraînant d’importants embouteillages et nuisant au tourisme local.
En réponse, le maire de Key West et d’autres habitants déclarent symboliquement l’indépendance de la ville sous le nom de République de Conch. Cette nation inventée de toute pièce s’est dotée d’un drapeau, d’un festival annuel, de sa devise ainsi que de son passeport symbolique pour touristes. La plaisanterie dure toujours.
Dans le cimetière de Key West les épitaphes ne manquent d’ailleurs pas d’humour. Sur la tombe d’un certain Bob Decker, ancien capitaine de navire, on peut lire “L’aventure continue”. Plus loin, sur la pierre tombale de son défunt mari, une veuve a fait graver sur le marbre : “Au moins je sais où tu dors, ce soir”. Autre sépulture, autre touche d’humour noir : “Je t’avais bien dit que j’étais malade”…
Un coq venu picorer dans le gravier blanc d’une tombe se met à chanter, comme pour réveiller tout ce petit monde. Mieux que les poules mortuaires, les alligators des Everglades constituent un symbole animalier bien plus mordant de la Floride.
Cette région au climat tropical est le territoire historique des Indiens séminoles. Au cœur des mangroves inchangées depuis l’arrivée des conquistadors, la faune y est restée sauvage. Alligators, échassiers, poissons en tous genres, tortues et tatous…. Loin des cybers machins et autres robots livreurs, en cette période de biodiversité en péril, voir une faune riche et grouillante vivant en symbiose dans son monde naturel, quel spectacle réconfortant…