Santé
Trois soignants témoignent
Publié le
Jacqueline Raisin, 50 ans
Cadre de santé en hygiène hospitalière
« Il faudra faire face à une deuxième vague »

© DR / Ville de Tremblay-en-France
Habituellement, la mission de Jacqueline Raisin consiste à coordonner et à mettre en œuvre toutes les actions relatives à l'hygiène hospitalière, à la prévention des risques infectieux et à la lutte contre les infections associées aux soins. « Évidemment, cette crise sanitaire a représenté une situation exceptionnelle et il a fallu progressivement nous adapter aux stratégies nationales. Mais nos soignants ont bien joué le jeu afin de prendre leur part dans la lutte contre le virus », souligne cette habitante des Cottages. Différents services ont en effet dû se transformer en service Covid-19, et accueillir des agents venus d'autres secteurs de l'établissement. « L’important était, à ce moment-là, d’être attentif aux compétences de chacun et de tenir un discours d’expert qui rassure, pour que les équipes se sentent en sécurité », explique Jacqueline Raisin, qui officie à Robert-Ballanger depuis 2003.
Si l’hôpital a connu des manques (de masques, de surblouses…), il a pu bénéficier d’un certain nombre de dons dans plusieurs domaines : des visières créées avec des imprimantes 3D, des minuteurs pour mesurer la fréquence respiratoire, des patères pour accrocher les blouses ou encore des repas qui ont été apportés par des habitants. « Et grâce à un don de machines à laver, nous avons, en quarante-huit heures, mis en place une blanchisserie pour laver nos blouses en tissu, puis organisé tout un circuit pour qu’elles puissent être redistribuées rapidement », indique la cadre de santé.
L’adaptation permanente, maître-mot de cette période si spéciale. « Aujourd’hui, le personnel commence à fatiguer. Comme la situation se calme un peu, nous en profitons pour accorder enfin des jours de repos. Tout en maintenant notre qualité de soin, nous tâchons de libérer des agents afin qu’ils reprennent des forces », fait valoir Jacqueline Raisin. Car elle n’en doute guère, « il faudra faire face à une deuxième vague : elle sera peut-être moindre, mais il me paraît difficile de l’éviter. Et nous devons aussi nous préparer à recevoir d’autres patients, mis de côté jusque-là ». L’objectif sera alors de les accueillir en toute sécurité, sans qu’ils soient mis en contact avec des personnes contaminées.
Cédric Pottier, 37 ans
Ambulancier du Smur (Service mobile d'urgence et de réanimation)
« Nous avons proposé de faire des services de vingt-quatre heures »

© DR / Ville de Tremblay-en-France
Habitant du Vieux-Pays, Cédric Pottier apprécie le calme actuel, la plupart des avions de l’aéroport tout proche étant pour le moment cloués au sol. De son petit jardin, il peut profiter du chant des oiseaux, avant que ne sonne l’heure de reprendre son poste. « Je travaille avec un infirmier et un médecin, précise-t-il. Dès le début de la crise, nous avons tous trois proposé de faire des services de vingt-quatre heures au lieu de douze, afin de réduire les relèves. Moins de personnel se croisait et ce système nous donnait davantage de temps de repos. »
Brancardier aux urgences pendant dix ans, le Tremblaysien travaille au Smur depuis un an et demi. Avec le virus, le quotidien du trentenaire a changé : « Nous avions à transporter en majorité des personnes contaminées. Il fallait mettre en place les précautions nécessaires, bien désinfecter toutes les surfaces de contact. Cela augmentait beaucoup le temps de prise en charge. » Cédric Pottier confie qu’il n’a pas ressenti trop d’appréhension : « Dans mon métier, on sait se protéger et protéger les autres. Et nous avons tout de suite pu être bien équipés. » Il rend hommage à ses collègues de l'hôpital Robert-Ballanger officiant aux urgences et en réanimation, « où il y a eu très peu d’arrêts maladie malgré la surcharge de travail ». Son épouse est manipulatrice radio dans le même établissement.
« Il faut penser aux radiologues, qui ont connu un très gros pic d’activité : au début en effet, seul le scanner pouvait confirmer qu’un patient était atteint par le virus », ajoute le Tremblaysien. L’ambulancier regrette les fermetures de lits imposées aux hôpitaux ces dernières années : « J’espère que les gouvernants vont tirer les leçons de cette crise. Il n’est pas acceptable que l’on ait manqué de lits de réanimation. Ne faisons plus d’économies sur la santé ! » Que fera Cédric Pottier le jour où la situation redeviendra normale ? « J'aimerais aller au restaurant, au cinéma ou à la salle de sport. Bon, c’est vrai que l’on peut s’en passer… Mais se retrouver avec la famille et les proches, c’est surtout cela qui me manque aujourd’hui. »
Layla Koulouche, 37 ans
Infirmière, cadre de santé
« De bonnes décisions ont été prises, mais souvent avec retard »

© DR / Ville de Tremblay-en-France
À l’hôpital Robert-Ballanger, Layla Koulouche s’occupe de la gestion des consultations médicales et de celle des dossiers de soin informatisés. « Dès le début de la crise sanitaire, il a fallu estimer quelles étaient les consultations les plus urgentes. Afin de faire face à une arrivée massive de patients contaminés, j’ai eu à redéployer des infirmières vers les urgences ou le service de réanimation, en privilégiant celles qui y avaient déjà exercé », explique Layla Koulouche, qui vit dans le centre-ville depuis 2014. « Travailler dans un service Covid-19 n’a rien de facile, car il n’est jamais évident d’accompagner parfois la mort. De plus, ces personnels devaient s’astreindre à un certain isolement familial. Ma priorité a été de prendre régulièrement de leurs nouvelles et de les soutenir », poursuit la cadre de santé.
Des groupes de parole ont été créés pour celles qui souhaitaient verbaliser leur ressenti. En prenant du recul, l’infirmière se dit que des erreurs ont sans doute été commises dans la gestion de la crise. « Mais c’était inévitable, vu notre manque d’expérience concernant ce type de virus. Beaucoup de bonnes idées étaient là, mais pour les mettre en place, il fallait en général attendre des décisions venues de plus haut. En fait, de bonnes décisions ont été prises, mais souvent avec un temps de retard », raconte la trentenaire, qui se projette dans une nouvelle phase avec la perspective d'une reprise progressive de l’ensemble des consultations. « Malgré tous nos efforts, déplore la soignante, beaucoup se demandent s’ils peuvent venir à l’hôpital en toute sécurité. Nous avons un gros travail à faire pour combattre les préjugés, pour rassurer les patients. »
Layla Koulouche estime qu’il n’y aura pas de retour à la normale avant de longs mois. Quant à goûter de nouveau aux plaisirs d’avant… « Nous aurons du mal à profiter du restaurant ou du cinéma de manière innocente. Il existera toujours une suspicion, il nous faudra sans cesse faire attention et penser à se protéger. Mais moi qui aime bien parler, j’espère qu’il restera au moins ça ! »
Auteur : Daniel Georges