Jeune public
Ubique croit aux contes défaits !
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La belle au bois dormant est un spectacle estampillé jeune public (à partir de 6 ans), mais c’est un peu plus compliqué que ça en réalité ?
Oui ! Ce qu’on essaie de faire avec le collectif Ubique, c’est d’écrire pour tous ! On s’adresse à tous les publics, parce qu’à la base les contes s’adressaient aux adultes : c’est avec le temps qu’il y a eu un détournement et qu’ils sont devenus des histoires pour enfants.
La belle est votre deuxième création après Hansel et Gretel initié il y a deux ans. Pourquoi avoir choisi le conte comme cœur de travail ?
Très sincèrement, cela tient du hasard. Tous les trois, on adore raconter des histoires si bien qu’on aurait pu s’intéresser à une autre forme de récit, aux faits divers par exemple ! En fait, Hansel et Gretel était un travail de commande autour de l’alexandrin, pour un festival en Normandie. C’est d’ailleurs ainsi que s’est créé le collectif et que nous nous sommes « naturellement » tournés vers le conte, cela ne découle pas d’une étude de marché !
Vous avez une approche résolument novatrice du genre pour en faire une véritable marque de fabrique !
Il s’agit en effet de réécrire, de casser les codes... On essaie de proposer un langage assez moderne. Pour La belle, on est parti du texte de Perrault, qui est déjà une réécriture de quelque chose de beaucoup plus dur et violent, et on a choisi de s’attacher aux rebondissements – le prince part à la guerre, la princesse suit sa belle-mère – tout en introduisant des touches d’humour...
Et la psychanalyse des contes de fées ?
C’est vrai qu’on cite Marc-Alain Descamps (lire encadré), mais ce que l’on propose n’a rien d’intellectuel, même s’il y a un point de vue. On a choisi de changer le destin de la Belle mais on ne fait pas dans la psychanalyse ! On s’est inspiré de Descamps non pas pour l’écriture en soi mais plutôt dans la façon d’aborder le genre et comme source de travail. Notre méthode consiste à prendre des libertés, à dépoussiérer, et repose beaucoup sur l’improvisation.
Deux mots sur la mise en scène ?
On est assis tous les trois sur des chaises et habillés en noir comme des concertistes. On n’en bouge plus pour développer notre univers onirique et acoustique : le décor est sonore, constitué de bruitages, de cornemuse, de percussions africaines... À la base, Simon Waddel est musicien (théorbiste et luthiste), Vivien Simon est multi-instumentiste, chanteur classique et a aussi fait un peu de théâtre...
Je suis moi-même comédienne et violoniste. On a mélangé nos différentes spécialités et on endosse chacun plusieurs rôles. Nous sommes tous les trois metteurs en scène ! Pour obtenir ce résultat, on s’est beaucoup filmé : un peu comme les footballeurs qui se repassent leurs actions en vidéo.
Étendus pour le conte
« Les contes ne sont pas des histoires à dormir debout », nous rappelle Marc-Alain Descamps. Philosophe, psychologue et… psychanalyste, l’homme a apporté un éclairage aux contes de Perrault, selon l’inconscient culturel des Français.
Pas de hasard si, du côté du collectif Ubique, l’on se prend à citer Marc-Alain Descamps : ce dernier, au-delà des travaux de Bruno Bettelheim*, qui a surtout étudié les contes de Grimm et d’Andersen, s’est penché de près sur les contes de fées produits par l’inconscient collectif français. Et voilà une forme qui relève bel et bien de la psychanalyse selon Descamps : « Ce sont des histoires que l’on se transmet oralement. Par conséquent, ils sont constamment réactualisés. [...] Les contes ne sont pas des histoires à dormir debout. Ce ne sont pas des divertissements pour analphabètes, ni des histoires pour faire peur aux enfants. La preuve c’est qu’autrefois ils étaient racontés aux adultes. » Audrey, Vivien et Simon s’inscrivent ainsi parfaitement dans la lignée des conteurs qui les ont précédés, réactualisant l’oeuvre de Charles Perrault lequel s’est lui-même imprégné d’autres contes, notamment pour sa Belle au bois dormant !
Alors, au-delà de 6 ans, on serait bien inspiré de s’octroyer une « séance » avec le collectif Ubique ! Pas de mouchoirs ni de psy dans la salle mais quand même l’occasion de partager des émotions similaires avec les marmots... parfaitement détendus par le conte !
*Psychanalyse des contes de fées, Robert Laffont, éditions, 1976.
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Auteur : Eric Guignet