Histoire
Tremblay il y a 100 ans
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© Archives communales - Ville de Tremblay-en-France
Vous aimez votre ville ? Vous pensez la connaître sur le bout des doigts ? Mais savez-vous comment elle était en 1918 ? Pas si sûr. Il y a 100 ans, presque jour pour jour, l’automne est frais et brumeux. L’abdication de l’empereur allemand Guillaume II et l’Armistice signé le 11 novembre à Rethondes marquent la fin d’une guerre qui aura fait plus de 18 millions de morts et duré quatre ans. La France n’en sort pas indemne. Aucun village, aucune famille française n’est épargnée dans sa chair. Mais chacun veut croire que cette guerre qui s’achève restera « la Der des Der ».
Le village historique
Isolée des moyens de transport, Tremblay-lès-Gonesse, en plaine de France (rebaptisée Tremblay-en- France depuis 1989) est un bourg rural de Seine-et-Oise jusqu’au début des années 1920. La richesse de ses terres agricoles a favorisé l’implantation d’industries alimentaires au tout début du 20e siècle. Tremblay possède notamment une sucrerie-distillerie, située en lieu et place de ce qui est aujourd’hui l’Institut universitaire de technologie (IUT), route de la Râperie. Jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, les transports hippomobiles assurent l’essentiel du trafic : l’omnibus est tiré par des chevaux et les flûtes (péniches étroites) sont tractées sur le canal de l’Ourcq par des mulets ou de robustes percherons.
L’abandon de la construction de la ligne de chemin de fer de Senlis à la veille de la guerre laisse encore le village à sa ruralité. L’agglomération historique est divisée en deux parties. Le Grand Tremblay occupe la partie sud du village, le bourg s’organisant autour de la place et de l’église Saint-Médard. Le Petit Tremblay, plus au nord, est séparé du Grand Tremblay par le château Bleu et son parc, datant du XVIe siècle.
Des résidences de prestige (maison du comte de Bussy descendant direct de la famille Turgot*) côtoient des maisons de maîtres. L’allée des Tilleuls, qui existe toujours, contribue également au charme du vieux village. L’auberge des Tilleuls est l’un des nombreux points de rencontre des habitants. La rue principale (actuellement Route de Roissy) possède d’ailleurs plusieurs cafés comme Motte et À l’ami Paul. L’école communale, construite en 1910 et accolée à la mairie, accueillait alors filles et garçons dans des classes non mixtes.
La guerre à sa porte
Après l’épisode célèbre des taxis de la Marne et de leur réquisition sur la place de l'ancienne mairie par le général Gallieni, Tremblay-lès-Gonesse devient pendant la Grande Guerre une base arrière du conflit, mais aussi un « réservoir » de « chair à canons», à l’instar de toutes les communes françaises et des colonies. Fort de 837 habitants en 1911, le village déplore à la fin de la guerre la mort de 62 soldats dont 27 habitaient encore la commune.
« Tremblay va vivre pendant quatre ans avec la guerre "à sa porte". Pendant toute la durée du conflit, la commune fut un village de cantonnement pour le repos des troupes engagées, notamment la 92e division d’infanterie territoriale dont le poste de commandement est installé dans la mairie, souligne Hervé Revel, président de la Société d’études historiques de Tremblay (SEHT). Le village n’a pas souffert des actions de guerre à proprement parler, mais a surtout subi les nuisances du champ de tir de Bonneuil-Thieux. »
Pendant les tirs d’essai des canons, les travaux des champs sont suspendus. L’armée réquisitionne les chevaux, ce qui perturbe la correspondance quotidienne avec la gare de Sevran. La vie garde tout de même ses droits. Toute la durée de la guerre l’école fonctionne. Les travaux des champs sont perturbés mais pas interrompus. La sucrerie-distillerie continue de tourner. Les femmes prennent une place importante dans la vie économique, assurant du jour au lendemain la survie d’activités traditionnellement réservées aux hommes.
La fin d’une époque
Au sortir de la guerre, le village entre progressivement dans l’ère moderne et se transforme dans les années 1920 par l’urbanisation d’une partie de son territoire. Trois lotissements importants sont projetés à Tremblay, à l’écart du village. Lancé dès 1923, le lotissement du Vert-Galant s’est développé à partir de la gare et du pont de l’Ourcq qui le relie au reste de la commune.
Dans la foulée, c’est au tour des lotissements du Bois-Saint-Denis, recouvert de forêt, puis des Cottages, vaste plaine cultivée, de voir le jour sans aucunes commodités (ni eau, ni électricité, ni commerce, ni transport). En pleine crise du logement, une population de « mal lotis », composée pour l’essentiel d’ouvriers et d’employés, s’installe dans ces lotissements quintuplant le nombre des habitants de la commune.
En 1921, les 842 Tremblaysiens sont concentrés dans le vieux bourg. Dix ans plus tard, avec la naissance de ces nouveaux quartiers, ils seront plus de 4 380. L’habitat et la construction d’écoles modifient alors profondément le visage de la ville, qui entre définitivement dans la modernité avec son maire bâtisseur Gilbert Berger, élu en 1935.
*Anne Robert Jacques Turgot, baron de l'Aulne, fut notamment le premier contrôleur général des Finances de Louis XVI.
Métiers d’antan
Si au début du 20e siècle, une majorité des Tremblaysiens sont agriculteurs, plusieurs autres métiers, dont certains ont disparu aujourd’hui, concourent à la vie communale. Artisans, commerçants sont des figures bien connues à l’époque à Tremblay : les maréchaux-ferrants Gustave et Edmont Sezille, père et fils, rue du Puits- Hazard, ferraient les bêtes, les charrons Louyot et Portejoie, à la Pissotte, cerclaient les roues des charriots.
La boutique de Senez, le bourrelier, travaillant les pièces d’attelage, était située rue de la Mairie. Sans oublier l’allumeur de réverbères (le père Mader), le conducteur d’omnibus tiré par des chevaux (Achille Coquart), le facteur-receveur (Virgile Ménessart), le cantonnier (M. Chaux), le charretier (Léon Thillay), le chaudronnier (M. Olivier), le cabaretier et coiffeur (Paul Mignon), le boucher-charcutier (M. Gros), la fromagère (Mme Rollet), la poissonnière (Mme Berthe), qui allait acheter sa marchandise aux Halles avant sa tournée…
La séance est ouverte !
Pendant et après la Grande Guerre, le conseil municipal délibère sur des questions qui touchent au devenir de la commune et de ses habitants. Extraits.
Lorsque la guerre éclate, le 2 août 1914, les élus décident de former une garde communale constituée de volontaires. Quatre jours plus tard, le maire Louis Vaché, mobilisé, délègue ses fonctions pendant la durée du conflit à son adjoint, Denis Senez, qui décèdera le 5 novembre 1916 et sera remplacé par M. Rihoueÿ, doyen de l’assemblée municipale.
Après la guerre, le nouveau maire élu en décembre 1919 sera Paul Mignon. Pendant la guerre, la préoccupation principale est la poursuite des activités des champs et la protection des récoltes. Le 16 août 1915, en raison du manque de main-d’oeuvre agricole, le conseil municipal demande instamment au préfet que les ouvriers civils de la commune restent à la disposition des cultivateurs et qu’ils ne soient plus embauchés aux travaux de défense du camp retranché.
Dans les séances des 5 et 8 juin 1917, le préfet est à nouveau interpelé pour l’envoi de prisonniers de guerre destinés à pallier le manque de main-d’oeuvre pour la récolte de betteraves et de pommes de terre. Un garde-champêtre sera même nommé pour surveiller les récoltes le temps que dure la guerre. Le 14 mai 1918, pour préserver les récoltes, le conseil municipal demandera aussi, en vain, que la ligne des tirs d’essai soit déviée vers des terres non cultivées.
Manger et se chauffer
L’accès au combustible et à la nourriture sont deux autres préoccupations majeures des Tremblaysiens pendant la guerre. Dans sa séance du 19 mai 1916, le conseil décide que le charbon, devenu cher et rare, ne soit vendu que le jeudi et le samedi de 6h à 9h. Le garde champêtre veillera au respect de la pesée des sacs pour chaque famille.
Le 31 mars 1917, les élus demandent au préfet de mobiliser M. Quicray dans sa boulangerie. Motif : il est le seul boulanger de la commune et alentours. Après la guerre, le 12 novembre 1918, l’assemblée locale décide d’allouer un secours de dix francs à chaque orphelin de la guerre de la commune et vote, le 5 août 1919, l’érection d’un monument commémoratif en l’honneur des Morts pour la Patrie, inauguré le 26 décembre 1920. Une souscription publique est ouverte à cet effet.
Enfin, le 12 novembre 1920, le conseil accorde, dans le cimetière communal, une concession perpétuelle gratuite aux victimes du conflit.
Henri Mathias, un Tremblaysien dans la Grande Guerre
Précipités dans l’enfer des tranchées, 62 poilus tremblaysiens ont donné leur vie pour la patrie. Lorsque la guerre est terminée, la population de Tremblay-lès-Gonesse, comme la France entière, pleure ses morts et leur rend un hommage digne de leur sacrifice avec l’érection d’un monument commémoratif. Mais qui étaient-ils avant de partir à la guerre ?
Né le 17 décembre 1879 à Tremblay, Achille dit Henri Mathias nous en donne une idée. Après avoir fait des recherches généalogiques, sa petite fille Simonne, aujourd’hui âgée de 84 ans, raconte : « Mon grand-père est le fils de Jean Philippe Mathias, boulanger, et de Caroline Faure, blanchisseuse. Il a un frère jumeau, Félix Edouard, et a deux aînés. Son père, originaire d’Alsace, a opté pour la nationalité française en 1872. Ma famille demeurait ruelle de la Détourne, au Petit Tremblay. Compagnon du devoir, mon grand-père est menuisier, tandis que son jumeau Félix est serrurier. »
Après avoir acheté un terrain à Aulnay-sous-Bois, où il aménage son atelier, Henri Mathias épouse, le 5 mai 1904, une Bourguignonne, Louise Anne Jolivet. Ils auront deux fils, Charles et Roger. Il est affecté le 7 décembre 1914 au sein du 267e régiment d’infanterie. Simonne poursuit non sans émotion : « Le corps de mon grand-père n’a jamais été retrouvé dans les tranchées. Ma grand-mère a su par un voisin gradé dans l’armée qu’il avait reçu un obus dans le ventre. Il est mort, Chemin des Dames, dans l’Aisne, le 16 avril 1917 à l’âge de 37 ans. Au même âge, mon père mourait sur le champ de bataille durant la Seconde Guerre mondiale ! »
Henri Mathias possède un appareil photo de type Kodak Pocket. Lors du cantonnement de son régiment à Pont Arcy (Aisne), entre le 6 décembre 1914 et le 23 février 1916, il prend des clichés montrant des soldats dans les tranchées, la vie quotidienne, le pont métallique qui est détruit, maisons et église en ruines. (Voir ses photos)
Quand le Vieux-Pays fait son cinéma !
Le Vieux-Pays de Tremblay a inspiré deux grands réalisateurs du cinéma français : Jean Boyer et Jean-Luc Godard. Le film, La Madelon, réalisé en 1955 par Boyer, sur fond de guerre 1914-18, a pour casting Line Renaud, Jean Richard, Roger Pierre, Jean Carmet et même Patrick Dewaere alors âgé de huit ans ! Des Tremblaysiens sont figurants et côtoient les acteurs costumés en poilus qui séjournent quelque temps dans le village. À cette occasion, le café Boulon est renommé Le Tourlourou dont les propriétaires successifs conserveront le nom.
Pierrot le Fou, réalisé dix ans plus tard par Godard, est lui tourné au Petit Tremblay. Le pont de la ligne de chemin de fer abandonnée à la veille de la Première Guerre mondiale, a été choisi pour le tournage de la scène simulant un faux accident. Le héros qui tente d’échapper à son destin n’est autre que Jean-Paul Belmondo.
En savoir plus :
- Expositions de la Société d’études historiques de Tremblay (SEHT) sur les Taxis de la Marne et des Archives communales « 14-18 : je vous écris de Tremblay » (du 11 au 23 novembre au rez-de-chaussée de l’Hôtel de ville).
- Site internet : 1418.tremblay-en-france.fr
- Livres : Tremblay, je t’aime, de Madeleine Leveau Fernandez ; Tremblay-lès-Gonesse, 1900-1930 et Mémoire en images : Tremblay-en-France, d’Hervé Revel (collection SEHT).
Auteur : Pierre Grivot
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