Football
Rino en pleine lucarne !
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© D.R. / Ville de Tremblay-en-France
Parler d’un temps que les moins de 18 ans, les footballeuses et footballeurs du Tremblay Football Club (TFC), peuvent ne pas connaître ? Finalement, cela aura été un des enjeux de cette soirée-conférence autour du livre Rino Della Negra, Footballeur et partisan, que cosignent Jean Vigreux et Dimitri Manessis. C’est ce dernier qui, tel un avant-centre, évoquera le parcours de Rino Della Negra à la Maison des sports. La métaphore footballistique seyant parfaitement à la soirée, avec une salle pleine comme un stade et Arnold Makwo, président du TFC, pour donner le coup d’envoi. « Au-delà des résultats sportifs, nous tenons à ce qu’il y ait de vraies valeurs dans ce club », lance le conseiller municipal. Et de rappeler les maraudes des moins de 14 ans et de leurs éducateurs lors du premier confinement, la mobilisation pour les Ehpad et les familles en difficulté. « Le devoir de mémoire, la possibilité de rencontrer un historien, c’est important », ajoute-t-il.
Une-deux avec Virginie De Carvalho, 1er adjointe au maire, qui évoque les valeurs de paix, de fraternité et de progrès avant de poser en contrepied-contrepoint le parcours d’un fils d’immigrés italiens au concept « d’identité nationale » défendu par un candidat aux présidentielles de 2022 « qui promeut la théorie raciste du grand remplacement, va même jusqu’à vouloir interdire certains prénoms et fait de l’étranger, la source de tous les problèmes de la France, rappelle la première adjointe au maire. L’histoire de Rino Della Negra et de ses camarades prouve le contraire ! » Et l’édile d’évoquer dans la foulée, l’esprit dans lequel on conçoit la pratique du sport sur Tremblay, aux antipodes du sport business. Balle au centre, à l’historien de rentrer en jeu. Et face à ce jeune public, Dimitri Manessis va exceller – sa verve et sa jeunesse, 32 ans, pour lui ! – en sortant de son champ habituel d’étudiants en histoire. Rino Della Negra ? « Ce jeune homme a été fusillé par les nazis à l’âge de 20 ans, le 21 février 1944 », entame le conférencier. On va l’écouter avec attention et comprendre l’essentiel en un peu plus d’une demi-heure…
Rino, balle aux pieds et armes à la main
Fils d’immigrés italiens, ouvrier et banlieusard, le Rino. Né dans le Pas-de-Calais en 1923, il grandit à Argenteuil, banlieue rouge et dans le temps du Front Populaire, de l’éducation populaire par le sport. Alors oui, il y aura du football FSGT pour le petit Italien – il sera naturalisé Français en 1938 – mais pas seulement : un peu de boxe, de l’athlétisme aussi, il excelle en tout mais surtout pour ses talents de footballeur. Les copains, c’est important ? Argenteuil compte beaucoup d’Italiens qui ne sont pas venus en France que pour des raisons économiques : « Les amis de Rino vont l’intéresser au combat antifasciste », éclaire Dimitri. Il y a aussi dans son environnement des gens qui sont partis combattre Franco en Espagne… Lorsqu’il est repéré par le Red Star de Saint-Ouen en tant qu’ailier droit pour la saison 1943-1944, Rino est déjà membre de la Résistance – chez les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans Main-d’œuvre immigrée) – et réfractaire au STO, le service du travail obligatoire. Rino entre en clandestinité, mène une quinzaine d’actions à main armée contre les Allemands ou des collaborateurs… tout en jouant sous son vrai nom au Red Star !
20 ans, la fin de Rino Della Negra approche. Novembre 1943 et l’attaque de convoyeurs de fond qui le laisse blessé, puis fait prisonnier, puis torturé aussi : est-ce parce qu’il ne serait ainsi pas « présentable » qu’il ne figure pas sur la célèbre Affiche rouge ? On l’ignore. Un « procès » devant une cour martiale allemande le condamne à mort en février 1944 avec vingt-deux autres membres des FTP-MOI du Groupe Manouchian… « Je vous ai surtout parlé d’hommes, mais le rôle de femmes dans la résistance a été indispensable », précise Dimitri Manessis en fin de conférence. « Je ne connaissais pas cette histoire, merci beaucoup d’être venu nous en parler », réagit Myriam, 18 ans. Lola, et la plupart des jeunes du TFC n’en avaient jamais entendu parler de cette histoire ! Mais Medhi, de son côté, s’est souvenu des cours au lycée : « Le prof nous a beaucoup parlé de la Deuxième Guerre mondiale. J’ai réussi à faire le lien avec le STO, Vichy… ». Pas mal ! Et puis, tous les jeunes seront repartis avec un exemplaire dédicacé – Dimitri Manessis prenant le temps de personnaliser chaque dédicace ! – de Rino Della Negra, Footballeur et partisan…
« Ce livre est parti d’une écharpe de supporteur du Red Star de Saint-Ouen ! »
Entretien avec Dimitri Manessis, docteur en Histoire et coauteur avec Jean Vigreux de Rino Della Negra, Footballeur et partisan aux Éditions Libertalia (2022)
Qu’est-ce qui vous a conduit à vous intéresser à Rino Della Negra ?
Je suis arrivé à Paris en 2016 et me suis mis à supporter le Red Star, le club de Saint-Ouen où j’habite désormais. En fait, tout est parti d’une écharpe de supporteur sur laquelle était inscrit « Tribune Rino Della Negra » un jour que je me trouvais au stade Bauer ! Il se trouve qu’au début de l’année 2018, lors d’un séminaire universitaire à Dijon, je portais cette fameuse écharpe autour du cou... Ça a intrigué mon directeur de thèse – Jean Vigreux – et en deux mots je lui ai raconté le peu que je savais de cette histoire. Rien de plus que ce que j’avais capté au stade et quelques éléments glanés sur Internet, à savoir que Rino avait été résistant et joueur du Red Star. Jean m’a rappelé le lendemain pour me proposer d’écrire un livre, à quatre mains. C’est parti comme ça !
C’est un travail de longue haleine : le livre vient tout juste de sortir dans le temps de cette commémoration…
Parallèlement à cette aventure, j’avais ma thèse à terminer, des cours à dispenser, cependant que Jean Vigreux assurait ses cours à la fac... Ça nous a donc pris du temps, en effet. Le travail de recherche dans les archives a pris naturellement beaucoup de temps, nous sommes également allés à la rencontre des témoins encore vivants. Et puis, il y a eu aussi quelques mésaventures avec d’autres éditeurs avant de conclure finalement avec Libertalia.
Justement, comment vous-êtes-vous répartis le travail avec Jean Vigreux ?
Dès le départ, nous avons divisé l’ouvrage en différents chapitres : je me suis occupé plutôt des parties « Jeunesse » et « Mémoires » tandis que Jean, dont c’est davantage la spécialité, s’est attelé aux parties qui concernaient la Résistance. En réalité, à chaque fois que l’un trouvait un élément qui pouvait aider l’autre, il lui donnait… et finalement, on a travaillé tous les deux sur l’ensemble du livre. C’est un vrai bouquin à quatre mains et deux cerveaux !
Sur les archives, dans quelles directions êtes-vous partis ?
Nous avons commencé par contacter le Red Star, mais les archives du club ont été complètement dispersées aux quatre vents ou perdues ! Si bien que nous sommes allés fureter du côté des archives policières, des archives du service historique de la défense de la préfecture de police de Paris. Par ailleurs, un gros travail a été réalisé du côté des archives de la presse évidemment, qu’elle fut généraliste, sportive, militante ou encore celle, clandestine, de la Résistance… Surtout, nous avons eu la chance de rencontrer Gabrielle Crouin – Gabrielle Simonazzi de son nom de jeune fille – témoin de l’époque et qui est une amie d’enfance de Rino Della Negra. À 99 ans, elle est en pleine forme et nous a raconté de précieux souvenirs. Nous avons également pu rencontrer Yolande Della Negra, la belle-sœur de Rino : c’est elle qui nous a donné accès aux archives familiales. C’est ainsi que nous avons retrouvé l’original de la lettre que Rino a écrite à ses parents avant d’être fusillé.
Auteur : Eric Guignet