Concert
Hasta siempre Gwana Diffusion !
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© Victor Delfilm
Comment avez-vous fondé Gnawa Diffusion, en 1992 ?
Petit, j’étais comme un autoradio, je chantais tout le temps mais je n’ai jamais rêvé de devenir musicien : je grattouillais, tâtais des percus, j’écrivais des textes depuis le lycée et me suis retrouvé avec cette matière quand, vers 19-20 ans, je travaillais comme marionnettiste. Pourtant, il me manquait un contact plus direct avec le public, j’avais envie de chanter, c’était une évidence. Alors, je me suis mis à chercher des musiciens et la chance, c’est que j’ai trouvé des gars qui avaient déjà du métier derrière eux.
Pourquoi la culture gnawa est-elle devenue votre matière ?
Algérien, vivant en France avec une culture universaliste, je suis un exilé – un peu comme un manchot ! Je suis allé vers la culture gnawa parce que j’avais besoin de recréer un socle identitaire pour nettoyer mon identité officielle apprise à l’école en Algérie et celle qui m’a été imposée en France, tout le discours sur l’intégration…
La culture gnawa et sa musique, que les esclaves noirs ont recréées au Maghreb et recomposées à partir de souvenirs, est une excellente plate-forme pour régler les nœuds de l’histoire arabo-islamo-berbère ! Ça m’a permis de recentrer mon discours sur la liberté : c’est difficile d’évoquer la liberté quand on a été esclavagiste, cela il faut au moins le reconnaître.
Quel aura été le legs de votre père, l’écrivain Kateb Yacine, dans votre parcours ?
Je pense qu’il y a surtout une histoire d’éducation, plus que d’influence proprement dite sur mon travail. Bien sûr, il m’a refilé des ficelles méthodologiques : par exemple que pour écrire, il faut écrire ! La discipline de l’écriture ! La meilleure façon, ce n’est pas d’attendre l’inspiration mais plutôt d’écrire tous les jours un peu jusqu’à ce que ça devienne comme une « drogue » et qu’on ait de plus en plus besoin d’écrire. Après, le legs central de mon père c’est l’insoumission à toute forme de pouvoir, une sorte d’hygiène anarchiste dans l’appréhension de ce qui nous entoure. L’esprit critique et la vigilance par rapport à l’information.
Toute une série de manifestations ont commencé en Algérie en mars 2019 : vous y étiez et avez participé au hirak (mouvement) !
Oui, la révolution algérienne a chamboulé mon calendrier, mais la vraie vie c’est bien plus important que la sortie d’un album ! J’ai considéré que c’était un devoir que d’apporter ma pierre à l’édifice. Cela en participant à des conférences ouvertes à tous, et qui ont fonctionné comme une école à ciel ouvert.
Avec l’intention de faire comprendre aux gens que, si les lois qui régissent leurs vies sont écrites dans un langage qui leur échappe, cela ne doit rien au hasard ! J’ai voulu dire qu’il ne fallait pas laisser aux technocrates le soin d’écrire la prochaine Constitution. Je ne défends pas une IIe République en Algérie, je défends l’idée d’un État démocratique qui obéit au contrôle citoyen et dans lequel la population est maîtresse de son quotidien...
Vous êtes un des animateurs de la page Facebook, « Écris ta Constitution »...
C’était pour créer le débat et pour que des propositions émergent. On a aussi organisé des ateliers constituants pendant sept mois, réalisés avec des citoyens lambdas de toutes les catégories sociales : c’est une autre façon d’écrire la Constitution, avec un langage clair...
La musique n’était pas absente dans tout cela ?
J’ai écrit Roho ! [Va-t-en, pars !, chanson pamphlétaire à l’adresse du pouvoir algérien] dès le début du mouvement, sur le moment, et ça a bien fonctionné. Ça sera sur le prochain album de Gnawa Diffusion qui devrait sortir au printemps 2020... J’avais mis en musique des textes de mon père dans Marché Noir [album solo sorti en 2009], et je prépare aussi un deuxième album solo un peu dans ces couleurs-là.
Les textes et les musiques sont pratiquement tous écrits, c’est un travail tellement hétéroclite que je me demande si je ne vais pas faire deux projets différents : entre 2014 et 2017, j’avais fait un gros travail sur la musique afro-cubaine en adaptant de la musique Congo et Yoruba avec des textes en arabe... mais il était prévu qu’on fasse un album avec Gnawa avant. Encore une fois la révolution algérienne est venue chambouler tout cela, parce qu’elle aura influé sur mon écriture et sur le contenu du prochain Gnawa.
Qu’est-ce qu’on va entendre, à Tremblay ?
Quelques-uns des nouveaux morceaux du prochain album, des inédits, des titres de la première période de Gnawa. Ce sera un grand mix en quelque sorte !
Auteur : Eric Guignet
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