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Europa City : La folie des grandeurs
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Que sait-on d’Europa City ? Cet immense complexe à l’américaine accueillerait à la fois quelque 500 boutiques, un parc aquatique, un parc d’attractions, 2 700 chambres d’hôtel, des activités culturelles et… un parc des neiges avec piste de ski ! D’ici 2020, ce monstre architectural couvrirait une surface de 80 hectares (ha).
Puis rejoint par un parc d’affaire, Europa City occuperait à terme une emprise de 300 ha sur les 700 ha d’espaces naturels et agricoles du triangle de Gonesse... Reste à savoir si ce type de développement sert aux territoires alentour. Et s’il doit primer sur la qualité de vie des habitants…
Une zone commerciale déjà saturée
« Le projet Europa City pose clairement la question de son adéquation avec le territoire », a souligné Olivier Guyon, adjoint au maire en charge du développement économique, lors du Conseil municipal fin septembre. En effet, la zone commerciale sur laquelle va rayonner ce complexe compte déjà O’Parinor et Aéroville, mais aussi My Place, le Quartz, L’Îlo, la Bongarde… Même aux portes de Paris, le Millénaire cherche toujours sa vitesse de croisière.
Implanter Europa City dans une zone saturée par l’offre commerciale pose un double problème pour l’élu : « D'abord, l’aménagement du nord de l’Île-de-France doit s’attacher en priorité à reconvertir les friches industrielles. Comme celles de PSA à la frontière du triangle de Gonesse. Ensuite, la compétition est déjà extrêmement sévère entre les centres commerciaux du secteur. Avec Europa City en plus, certains vont disparaître. Donc pour la municipalité, un projet qui ajoute des friches commerciales aux friches industrielles n’est pas soutenable. »
Le triangle de Gonesse est avant tout un espace naturel utile. Et utilisé. « Les habitants des villes limitrophes s’y promènent, rappelle Alain Lennuyeux, président du Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG). Des agriculteurs l’exploitent, car la terre est d’une qualité rare. D’ailleurs, le Schéma directeur de la région Île-de-France le désigne comme un espace agricole stratégique pour améliorer l’autonomie alimentaire de l’Île-de-France. »
Enfin, cet espace naturel a un rôle dépolluant primordial. À l’heure où la région parisienne enregistre régulièrement des pics de pollution aux particules fines, « le triangle de Gonesse permet de diluer les pollutions émises par les aéroports du Bourget, de Roissy et les autoroutes A1 et A3, alerte Bernard Loup président de l’association Val d’Oise Environnement. Supprimer les terres agricoles fera augmenter les températures sur zone de trois à cinq degrés selon les spécialistes. »
L’arrivée d’un gigantesque parc à thème – et ses 80 000 visiteurs par jour ! – aggraverait encore le phénomène. Avec à la clé une recrudescence des maladies respiratoires et cardiovasculaires dans cette aire.
Un projet contre nature
Livrer 300 hectares de terres agricoles au béton paraît bien démesuré. Surtout à Tremblay, souligne Olivier Guyon, « où le maire a bataillé avec les habitants et les élus pour protéger 500 hectares de terres agricoles et 70 hectares de bois face aux pressions de l’État et la région ». De même, l’aménagement du vallon du Sausset a été conçu pour préserver le ru au sein d’un ensemble paysager unique entre Villepinte et Tremblay.
« Depuis les années 2000 et la loi relative à la Solidarité et au renouvellement urbain, l’heure est à reconstruire la ville sur la ville et à conserver les espaces nonurbanisés, poursuit l’élu. L’enjeu est d’éviter de reproduire l’urbanisme des années 60 et les problèmes causés par l’étalement urbain, comme par exemple l’effet ville dortoir ». Or le projet du groupe Auchan est un retour à la vision ancienne d’un urbanisme extensif toujours plus consommateur de ressources.
« Europa City semble également ignorer l’impératif de la transition écologique. Le parc des neiges, avec sa piste de ski, est symbolique de cette absence de considération pour cet objectif, qui est le nôtre. » Car côté consommation électrique, le complexe d’Auchan s’apparente à un gouffre.
En chiffres, « rien que la piste de ski artificielle consommera autant d’électricité qu’une ville de 10 000 habitants ! », insiste Bernard Loup. Bref, Europa City affiche une sobriété énergétique digne de stades de foot climatisés au Qatar. Un pied-de-nez au sommet mondial sur le climat qui se tiendra en décembre 2015… au Bourget.
L’emploi en question
Pour convaincre de l’intérêt du projet, Auchan assure créer 20 000 emplois, dont 11 500 directs, à Gonesse, une ville frappée par un taux de chômage à 17%. Un discours dénoncé par le CPTG, « car le potentiel de recrutement d’Europa City est surévalué, juge Alain Lennuyeux. Les postes qualifiés demandent de parler deux ou trois langues… Or, ce n’est pas le cas des actifs au chômage dans la zone d’emploi. Les postes accessibles seront donc à faible valeur ajoutée. Ils créeront des salariés précaires, sous-rémunérés et corvéables à merci. Nous avons d’autres ambitions pour notre territoire ! »
Ces ambitions, le CPTG compte bien les faire valoir lors du débat public qui se tiendra en 2015, notamment en présentant un projet alternatif « fouillé, crédible et chiffré ». Une manière de montrer que la lutte contre le réchauffement climatique ne s’oppose pas au développement économique.
Auteur : Emmanuel Andréani