Danse
« Se parler, se comprendre »
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Herman Diephuis est un habitué du théâtre Louis-Aragon (TLA). De très longue date. Il ne sait d’ailleurs plus à quand remonte exactement la rencontre. « C’est une très longue histoire, je pense que j’ai dû présenter au théâtre et avec la Belle Scène Saint-Denis à Avignon une dizaine de pièces, avance le chorégraphe joint par téléphone. Mon parcours de chorégraphe n’aurait pas été le même sans le théâtre Louis Aragon. »
Et de souligner l’impératif vital que constitue pour un artiste l’appui d’une structure et l’intégration dans un projet artistique plus global. Tant pour le soutien financier, l’accès aux espaces de répétition, que pour l’inspiration. Et la fidélité aux artistes constitue l’un des points cardinaux du projet du TLA.
Après avoir accueilli pour la seule année 2016, ses oeuvres Bang, Prémix et Clan, le TLA recevra donc le 25 février Herman Diephuis qui présentera sa dernière création Mix. La représentation signera également la fin de sa résidence tremblaysienne.
Pour ce Néerlandais installé à Paris intra muros, la collaboration avec le théâtre Louis Aragon a également été synonyme d’une rencontre avec un territoire. « C’est grâce à ces résidences que j’ai pu m’apercevoir de réalités dont je n’avais pas conscience, confie-t-il. Je suis né aux Pays-Bas et je vis à Paris. Je me suis rendu compte que les problèmes que les habitants rencontrent en vivant dans le 93, moi je ne les ai pas. Et pourtant, je suis beaucoup moins Français qu’eux. Je me suis aussi aperçu que le talent est partout, que la compréhension de la culture contemporaine est envisageable partout. C’est tout à fait possible de se parler et de se comprendre. » Entendre, malgré les différences.
Confronter
Mix est issue de cette expérience. « Il y a aussi l’actualité, le retour aux frontières, les discours politiques », ajoute Herman Diephuis. Comme son nom l’indique, Mix est une ode aux différences. Et d’emblée, c’est bien ce qui frappe. L’hétérogénéité, la dissemblance, la diversité des trois interprètes.
« Ils sont diamétralement différents, tant physiquement que dans leur âge ou leur parcours », note Nathalie Yokel, responsable du secteur danse au TLA. Marvin Clech, la jeune vingtaine, est danseur de hip hop. Dalila Khatir a une formation de chanteuse lyrique mais a roulé sa bosse au théâtre, dans le milieu de la performance, en danse, fait du jazz improvisé.
Quant à Betty Tchomanga, elle vient de la danse contemporaine . Pas grand-chose les réunit donc, si ce n’est qu’ils sont tous les trois métis. Et tous les trois vont mettre en parole et en mouvement leur expérience et leur appréhension respectives du racisme, des stéréotypes et de l’assimilation culturelle. Chacun à sa manière, avec ce qu’il est, avec son propre langage. Et fatalement, progressivement, un dialogue va émerger.
Se réinventer ensemble
Les mots ne seront pas mâchés, assure le chorégraphe, sans pour autant que le propos se fasse péremptoire. Mais enfin, il faut savoir d’où l’on parle. Dalila Khatir travaille d’ailleurs beaucoup sur des discours politiques.
Dans la présentation de Mix, qui est au moment de la rédaction de cet article en cours de création, Herman Diephuis écrit que sa pièce « évitera un discours victimaire et essaiera de remettre en question l’idée même du vivre ensemble comme un lieu aseptisé, où les conflits et les confrontations sont contournées afin d’aplanir les différences ».
De la confrontation, du débat, de la dispute presque, naissent le mouvement et la créativité. Les différences deviennent les conditions de notre capacité à vivre et à se réinventer ensemble.
Certains ont pu avoir un avant-goût de la pièce. Prémix, présentée à Tremblay mais également à la Parenthèse lors du dernier festival d’Avignon, a constitué une étape de travail, une version courte de Mix conçue comme un duo entre Marvin le danseur et Dalila la chanteuse-performeuse. Une joute, un battle, où le burlesque et le grinçant sont les ingrédients d’une pièce résolument politique.
Auteur : Mathilde Azerot