Culture
Culture : Tremblay résiste
Publié le

L’ambition qui guide l’action de la politique culturelle de la ville de Tremblay est contenue dans cette phrase célèbre de Jean Vilar, créateur du festival d’Avignon, qui considérait le théâtre comme « un service public tout comme le gaz, l’eau et l’électricité ». Voici résumé l’idéal auquel aspirent les artisans de l’éducation populaire.
Mais à l’heure où culture et divertissement s’amalgament dans beaucoup d’esprits, quelles sont les missions de service public de la culture ? « Garder des propositions de très haut niveau et faire en sorte que toute la population puisse y accéder, être un territoire de résidences artistiques car pour faire société, la présence des artistes est indispensable », définit simplement Mathieu Montes, premier adjoint au maire en charge de la culture.
Excellence et musique pour tous
L’Odéon, qui rassemble le conservatoire et la scène Jean-Roger-Caussimon, illustre parfaitement ce lien intime entre éducation, création et diffusion. « Nous sommes tous les jours dans l’éducation populaire !, revendique Pierre-Christophe Brilloit, directeur de L’Odéon. Nous n’entrons pas par le volet social mais toujours par le volet artistique. Concernant le conservatoire, nous ne sommes pas là simplement pour donner goût à la musique mais pour offrir un contenu de pratiques. »
Car entrer au conservatoire pour apprendre un instrument implique l’acquisition de bases incontournables, comme le solfège. Le travail accompli avec les groupes scolaires et notamment le succès incontestable de l’Orchestre au collège prouvent qu’excellence et musique pour tous sont tout à fait conciliables. D’ailleurs, le conservatoire ne peut satisfaire toutes les demandes d’ouverture de nouveaux créneaux de la part notamment des établissements scolaires.
À Tremblay, l’artiste est aussi au centre de la politique culturelle. « Notre travail n’a de sens que si les choses sont menées au long cours afin de pouvoir construire une histoire commune et cela, il n’y a que les résidences artistiques qui le permettent », analyse Emmanuelle Jouan, directrice du théâtre Louis-Aragon (TLA), scène conventionnée danse et dont l’une des missions est de soutenir la création artistique.
« Le territoire influe sur le processus de création et inversement, la création a un impact sur le territoire », renchérit Danielle Bellini, directrice des Affaires culturelles de la ville. Ainsi, depuis trois ans que la communauté d’agglomération Terres de France accueille l’orchestre symphonique Divertimento – fait notable dans le département, le public tremblaysien est rompu à l’écoute particulière et parfois codée de la musique classique.
Ainsi, avec CQFD, les 29 et 30 mai, les habitants ont pu prendre la mesure de l’ensemble des projets artistiques menés durant une année (parfois plus) par les artistes en résidence au théâtre Louis-Aragon avec les publics du territoire. Un mélange générationnel, culturel et social. Ainsi Bernardo Montet, chorégraphe en résidence au TLA a animé des ateliers à la maison d’arrêt de Villepinte et devrait réitérer l’expérience la saison prochaine.
« Nous ne sommes pas là pour évangéliser les quartiers populaires, s’exclame Emmanuelle Jouan. Nous ne sommes pas là pour apporter la bonne culture, nous sommes là pour partager. » Un échange, qui peut inspirer des vocations, mais qui surtout ouvre le champ des possibles. « Et il en reste toujours une trace », martèle Mathieu Montes.
Phénomène de « déculturation »
À l’échelle nationale, au nom des restrictions budgétaires, de nombreux lieux culturels, salles de spectacles, MJC, festivals perdent des subventions, sont en sursis, ou ferment leurs portes. Un phénomène qui prend une telle ampleur que de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer un processus de « déculturation » des territoires. Une cartocrise intitulée « Culture française tu te meurs » et qui référence toutes les suppressions et les amputations depuis les dernières élections municipales, est régulièrement mise à jour.
Les difficultés financières sont toujours invoquées. Les collectivités locales qui jouent un rôle moteur dans le domaine de la culture doivent faire face à des baisses conséquentes et constantes des dotations de l’État qui, d’une manière générale, se désengage de ses missions fondamentales comme l’éducation. Cette situation implique forcément des arbitrages. Mais à ce rythme, les acteurs culturels craignent un effondrement pur et simple de ce qui a longtemps singularisé la place donné à la création et à l’accès à la culture dans notre pays, la fameuse exception culturelle française.
« Il y a un manque de vision politique, s’alarme Emmanuelle Jouan. Ici, à Tremblay nous avons de la chance mais tout ceci est très fragile. » Le traumatisme suscité par la disparition du Forum du Blanc-Mesnil, partenaire du TLA au festival d’Avignon, scène conventionnée pour la création artistique contemporaine 15 ans durant et dont le projet a été balayé d’un coup d’un seul à l’arrivée de la nouvelle municipalité (ex-UMP, aujourd’hui Les Républicains), est toujours vif. Qui sait de quoi demain sera fait ?
« Ce n’est pas la culture qui coûte cher mais son absence », martèle le directeur du cinéma Tati, Luigi Magri. Des propos qui en rappellent d’autres, ceux par exemple prononcés par André Malraux, écrivain et illustre ministre de la Culture du général de Gaulle, qui plaidait pour « une culture pour tous avec la culture de chacun ». Avec la prestance linguistique qui était la sienne, il proclamait ainsi en 1964, alors qu’il inaugurait la Maison de la culture de Bourges, l’une des premières de France, que « la culture est devenue l’autodéfense de la collectivité, la base de la création et l’héritage de la noblesse du monde ». Et affirmait par-là que se défaire de la culture, c’est refuser de résister.
Auteur : Mathilde Azerot