Associations, Portrait
Pour l’amour des anciens
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© Serge Barthe - Ville de Tremblay-en-France
La séance commence invariablement par un « échauffement de la langue ». On papote cinq minutes des vacances. Un peu plus qu’à l’accoutumée, après la pause estivale, on prend le temps de se retrouver à l’orée du parc forestier. Attaquée bâtons de marche nordique aux poings, c’est la rentrée des classes pour Gisèle, Gilberte et Josy, éminentes adhérentes de l’association pour la santé des seniors et des sédentaires (S.Pas-Liés) dans leur soixantaine.
« Allez les filles, on y va ! », lance coach Patricia, la maîtresse de cérémonie, pour mettre un terme aux palabres et ouvrir la marche vers les frênes, les charmes et les chênes de la Poudrerie. Si la session semble tenir davantage du rendez-vous sportif entre copines que du cours de gym, le programme de la matinée n’en reste pas moins celui d’un entraînement : marche nordique égrenée d’ateliers destinés à travailler l’équilibre et la souplesse.
Le pas léger de Patricia lui permet d’encadrer le petit groupe durant sa progression, surveiller les postures de ses protégées, anticiper les embûches. Une racine qui affleure à la surface du chemin, une priorité à droite grillée par un petit chien et la chute tant redoutée peut survenir au détour du parcours…
Jeter des ponts entre les générations
Svelte, silhouette élancée, Patricia Haine, quinqua moulée dans un corps de jeune quadra, a toujours vécu entourée d’aînés. Fille unique élevée entre sa mère et sa grand-mère, cette dernière occupant une place privilégiée dans son cœur et ses souvenirs. « Souvent, les parents sont débordés, ils n’arrêtent pas de courir, affirme-t-elle. Les personnes âgées ont plus de temps à consacrer aux enfants, pour jouer avec eux et les écouter. » Comme une forme de reconnaissance, Patricia a ainsi développé très tôt un lien particulier avec les personnes âgées et s’est toujours efforcée de jeter des ponts entre les générations.
Grand-mère Félicie n’a jamais quitté le quotidien de Patricia qui estime naturel de l’avoir accueillie chez elle durant huit ans après son accident vasculaire cérébral. Puis c’est son beau-père, Daniel, gravement malade, qui a fini ses jours au sein de son foyer. À la demande du Père Jean Fayolle de la paroisse Sainte-Thérèse, Patricia commence alors à visiter des malades considérés comme condamnés par la médecine. Mais où commence exactement la fin de vie ?
Le diagnostic était implacable pour Ferdinand, 85 ans, quand Patricia lui a rendu visite la première fois : six mois à vivre tout au plus. « Il avait envie de faire plein de choses, de l’informatique, du chant, il lui fallait seulement quelqu’un pour le motiver. » Une relation très étroite s’est nouée entre le vieil homme et la jeune femme qui l’accompagnera finalement… 10 ans ! Si les troisième et quatrième âges constituent parfois un retour à l’enfance, Patricia souligne en souriant « qu’à soixante-dix ans, on est alors un adolescent », pas forcément passionné par le point de croix ou le macramé…
Le combat contre la déchéance
De ses dix-neuf ans de carrière en clinique comme technicienne de laboratoire, elle ne retient rien de bien particulier, si ce n’est le glissement du patient vers le client, et la soumission progressive du système hospitalier aux logiques de marché. Un jour presque comme les autres, elle a démissionné.
Passé 40 ans, Patricia reprend ses études à l’université de Marne-la-Vallée, où elle entreprend une licence en Sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps). Dans son mémoire, portant sur l’isolement et la sédentarisation des seniors de plus de soixante-quinze ans, elle jette les bases de son projet de parcours santé qui donnera naissance à son bébé, l’association S.Pas-Liés, qui l’occupe aujourd’hui à plein temps.
Elle qui a souvent côtoyé la mort n’en a pas peur, c’est la déchéance qui l’effraie et c’est ce combat qu’elle livre désormais. Travaillant en collaboration avec l’association Gym et Joie, Patricia se félicite du soutien du CCAS et de la ville. Son espalier (S.Pas-Liés) est devenu un bel agrès fédérant aujourd’hui une quarantaine de marcheurs chaque semaine. Elle aimerait donner davantage d’envergure à son projet pour mieux répondre aux besoins des quelques 5 000 seniors que compte la commune.
Au parc de la Poudrerie, Gisèle, Gilberte et Josy ont entrepris le « sprint » final de l’entraînement du mardi : une marche rapide le long de la ligne droite, de la buvette jusqu’au pied de la colline aux renards. Sous la surveillance bienveillante de Patricia, qui a proscrit les bavardages, le trio avale d’un bon pas les 300 mètres de course. À peine franchie la ligne d’arrivée, Gisèle conclut en souriant, juste un brin essoufflée : « Quand je démarre de chez moi, j’ai mal aux cuisses, j’ai mal aux reins. Et quand j’arrive ici je n’ai plus mal nulle part… »
Auteur : Loïc Thon That