Théâtre
L'art de l'improvisation
Publié le

Chaque jeudi matin depuis le mois de janvier, l’ambiance est au rire et à la relaxation dans le studio du théâtre Louis-Aragon.
Dans le cadre de Figure libre, dispositif proposé par le Conseil général de Seine-Saint-Denis pour rapprocher le champ social de celui de la culture, une douzaine de personnes font – pour la plupart – leur premiers pas dans le monde du jeu théâtral.
Emmenés par les artistes Igor Mendjisky et Esther Van Driessche de la compagnie les Sans-cou, ils s’initient à l’improvisation.
Metteur en scène, Igor Mendjisky travaille dans ses ateliers comme il le fait avec sa troupe : lors de la création de ses spectacles, il utilise l’écriture plateau, où l’improvisation a une place prépondérante dans la construction de l’histoire.
Les heureux élus sont des usagers et des employés de structures sociales telles que les PMI de la communauté d’agglomération ou encore le service social départemental.
«L’idée est de les faire beaucoup parler, de travailler sur le dialogue, précise Igor Mendjisky. C’est très important pour notre travail aussi, c’est très riche.» L’inspiration vient du terrain et de ses réalités.
Parler et rire
Le dialogue est donc au centre des exercices, souvent complexes mais toujours ludiques. Formant un cercle, ils se passent la parole, tour à tour, pour qu’à la fin une histoire existe, inventée collectivement.
Parfois – voire souvent, cela n’a ni queue ni tête, mais l’enjeu n’est pas là. Il s’agit de délier les langues, de laisser marcher son imaginaire et de libérer ses émotions. Et, toujours on en rit.
Le rire chez Josiane Venderro semble être une addiction. La vie n’est pourtant pas toujours rose alors, encouragée par son assistante sociale, elle est venue tenter l’expérience. Pour penser à autre chose. Jamais, elle n’avait pris de cours de théâtre. «Enfant, j’ai fait de la danse avec les tutus et tout… J’ai dû arrêter, explique-t-elle autour d’un café. Ici, c’est trop bien, on peut se relaxer…
L’improvisation c’est aussi quelque chose ! Et puis on rencontre de nouvelles personnes.»«Oui c’est vrai, intervient sa voisine Malika, maintenant on s’invite !» Malika Sad a, elle aussi, intégré les ateliers Figure libre via l’assistante sociale qui la suit.
À la recherche d’un emploi, elle a essayé à plusieurs reprises de passer les concours dans la fonction publique. À l’écrit, les choses se passaient plutôt bien, mais l’oral s’est révélé source d’une angoisse impossible à maîtriser.
« Je deviens toute rouge, confie cette mère de cinq enfants. Ici aussi, c’était dur au début de devoir prendre la parole devant tout le monde, mais maintenant ça va mieux. »
Bien-être et harmonie
«Mon assistante sociale m’a dit de venir ici, raconte Liliane Dagiste, de sa voix basse et posée. C’était pour s’évader un peu. Et ça marche, ça me détend.»
Très discrète et réservée, Liliane Dagiste s’impose pourtant en cheffe d’orchestre lors d’un exercice de déambulation. Sur de la musique classique, chacun marche à son rythme, de son côté.
Petit à petit, le groupe se resserre pour se rassembler. Puis, comme auparavant il s’agissait de faire circuler la parole, c’est maintenant le geste qu’il faut transmettre.
Et voici le groupe entier parti dans un ballet. Avec des parcours de vie souvent accidenté, des personnalités très différentes, les artistes parviennent à faire de ce groupe très contrasté un ensemble harmonieux.
Et le bien-être est un élément fondamental de l’atelier. Après les exercices de jeu, de dictions, de dialogue, Esther Van Driessche les réunit pour une séance de relaxation. On s’étire, on se masse, on baille, on rit à gorge déployée…
Impression trompeuse, ici encore, il faut se concentrer, car savoir se relaxer s’apprend.
Sortir de sa coquille
«Cet atelier, ça nous fait sortir de notre coquille», assure Abdelhafid Riade. À la recherche d’un emploi, alors que dans le même temps il donne des cours de français à la maison de quartier du Vert- Galant et des cours de soutien à l’AJT, il a également fait confiance à son assistante sociale.
«Je suis venu pour sortir de chez moi, et ça fait du bien.» Une sortie est prévue à Paris pour aller assister à La Grande classe - Masques et nez, la pièce d’Igor actuellement jouée au théâtre des Mathurins.
«Vous verrez, vous reconnaîtrez ce que nous sommes en train de faire», leur assure-t-il avant de clore l’atelier du jour. Car il s’agit d’une pièce dans laquelle des comédiens prennent un cours de théâtre en totale improvisation. Ce qui devrait clairement faire écho à leur propre expérience.
Auteur : Mathilde Azerot