Théâtre
Car jouer est quelque chose de très sérieux
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« Le fou rire ça existe. Tout fait théâtre ! ». Dans le studio du Théâtre Louis Aragon (TLA), en cette matinée du début du mois de décembre, Camille de La Guillonnière est à l’affût du moindre mouvement, de la moindre respiration des 24 élèves de la classe de seconde option théâtre du lycée Jean Zay d’Aulnay-sous-Bois. « Vous êtes une troupe », les prévient-il d’entrée. Si un fou rire vient, il doit servir le travail.
Direct et pointilleux, le comédien de la compagnie de Jean Bellorini, qui sera sur la scène du TLA les 16 et 17 février dans la pièce Un instant (voir ci-dessous), traite les élèves comme des professionnels. Avec exigence et humour. Marwane qui porte, ce matin-là, un t-shirt pailleté écopera du surnom « Monsieur Brillant » quand sa camarade Lena sera « Madame Optimiste », référence au slogan qu’elle arbore sur le sien « Optimism is a lifestyle ».
En mai, les adolescents seront sur la scène du TLA au moment de CQFD pour présenter le travail réalisé lors de quelques 25 heures d’atelier et poursuivi en classe avec leur professeure Fanny Malterre. Pour l’heure, ils tentent d’appréhender le jeu théâtral avec pour consigne de se laisser surprendre par leurs propres réactions et émotions, de les accueillir en les plaçant toujours au service du jeu. Car jouer est quelque chose de très sérieux.
Le premier exercice de la matinée est un exercice d’observation. En cercle, chacun doit répéter le plus exactement possible un geste lancé par son voisin. Suivre son rythme, adopter ses moindres grimaces, reproduire le plus petit déséquilibre. Ce n’est pas simple, cela suppose de prendre le temps et une grande concentration. Au début, chacun se précipite un peu. Puis, à force de répétitions, le groupe gagne en attention, se scrute et se cerne davantage.
Raphaël attrape les expressions du visage de sa voisine, qu’il mime avec gourmandise. Le mouvement se transmet, circule d’un élève à l’autre et, immanquablement, se transforme. « Vous voyez que même en étant fidèle, on ne s’empêche pas d’exister, les encourage Camille de La Guillonnière. Imperceptiblement, le rythme peut changer. »
Hésitations et relâchement
Le travail suivant demande une plus grande assurance : il s’agit d’amplifier le geste du voisin, de le grossir à l’extrême. Ici, les personnalités se font jour plus clairement ; les élèves les plus extravertis amènent peu à peu les plus inhibés à se laisser aller. Camille de La Guillonnière les bouscule un peu aussi. « On s’ennuie, on s’ennuie ! », les apostrophe-t-il à plusieurs reprises. Aïcha, très hésitante au début, accepte progressivement de se relâcher et d’utiliser son embarras à dessein.
« Environ un tiers de la classe fait du théâtre depuis la 6e, pour certains, je les suis depuis des années, indique Fanny Malterre qui participe également à l’atelier. L’idée, avec Camille, est de les faire travailler sur la notion de souvenir. Nous n’avons pas encore décidé mais ils pourraient travailler sur un texte de Pérec ou de Proust. » Pour aujourd’hui, le groupe va s’atteler à la lecture d’une pièce de la dramaturge Noëlle Renaude, À tous ceux qui. L’ambition est d’incarner le texte tout en le déchiffrant.
Après trois heures d’atelier, la fatigue et l’impatience se font ressentir. Mais les élèves sont contents de leur matinée et certains sont très conscients de ce que cette expérience peut leur apporter. Aïcha a commencé le théâtre cette année. « J’espère que ça va me permettre d’être moins timide en public, confie-t- elle. Quand je parle, j’ai toujours besoin de me cacher derrière un cahier ou une feuille. » Ce jour-là, elle a déjà fait un grand pas en ce sens.
Un instant, le moment Proust sur la scène d’Aragon
Jean Bellorini offre une nouvelle fois une plongée dans une œuvre littéraire monumentale. Après les adaptations des Misérables de Victor Hugo (Tempête sous un crâne), de l’œuvre de Rabelais (Paroles gelées) ou des Frères Karamazov, chef d’œuvre de Dostoïevski, le metteur en scène s’empare du roman-fleuve de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu. Il présentera Un instant, les samedi 16 et dimanche 17 février au théâtre Louis-Aragon. La pièce met en scène un duo composé de la comédienne franco-vietnamienne Hélène Patarot qui a beaucoup travaillé avec Peter Brook et de Camille de La Guillonnière, artiste fétiche de Jean Bellorini. L’actrice livre un pan de sa propre histoire, le récit de son exil indochinois. Ses souvenirs et ses traumatismes d’enfant qu’elle raconte à son partenaire qui l’incite à se confier se mêlent alors au texte de Proust. Une pièce très personnelle à ne pas manquer.
Auteur : Mathilde Azerot
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