Ayden, 17 mois, ne sait plus où donner de la tête et du regard dans la grande salle de l’espace Jean-Ferrat transformée en bibliothèque géante, ce mardi 18 novembre, à l’occasion du grand forum consacré à la lecture organisé dans le cadre du dispositif « Éduquer Ensemble », pilier du « Projet éducatif local ».
Cette fin d’après-midi-là, on ne compte plus les livres qui se ferment, s’ouvrent, les pages qui se tournent ou même s’écrivent... Ce qui donne le sourire, non seulement à Ayden, mais aussi à Kenza et Amar, ses parents venus sur les conseils de la Maison de quartier du Vieux-Pays : « Franchement, notre fils ne peut pas se sentir mieux que ce soir, il adore avoir des livres entre les mains. Parfois, on se demande même avec son père s’il ne sait pas déjà lire ! Il nous surprend lorsqu’on le voit en train de pointer son doigt sur une page et faire comme s’il lisait. Finalement, il est un peu comme sa grande sœur qui est en maternelle : elle aussi adore lire et identifie même déjà pas mal de lettres de l’alphabet... »
Délaisser les écrans et montrer l’exemple
Sans le savoir, ce couple de Tremblaysiens a peut-être enclenché la meilleure méthode pour transmettre le goût de la lecture : celle du mimétisme d’action. Parmi les invités de la soirée, venue prodiguer conseils ou recommandations aux parents tremblaysiens, la psychologue-clinicienne Sandrine Pascor, spécialiste de l’enfance et de l’adolescence rappelle en effet, très utilement, une vérité qu’il faudrait graver dans le marbre à l’heure du règne des écrans tout-puissants : « Les enfants font souvent les choses par imitation, donc des parents qui ne lisent pas ou qui passent leurs temps sur les écrans ne vont pas inciter leurs enfants à lire. Rien que de les amener à la bibliothèque est déjà un premier pas, encore plus lorsqu’on connaît toute la richesse des bibliothèques municipales. »
D’où l’utilité d’un forum où les parents étaient conviés à découvrir l’ensemble des actions proposées par la Ville et ses partenaires pour mettre le livre au cœur du développement de leurs enfants.

© Jean-Luc Vallet
Car les livres, bien mieux que ChatGPT, ont largement réponse(s) à tout : « D’autant que la littérature jeunesse a fait un grand bond en avant ces dernières années, approuve Karine Noreils, référente-santé au sein de la direction de la petite enfance de Tremblay en nous accueillant dans le petit coin salon de l’espace Jean-Ferrat où l’équipe de la Médiathèque Boris-Vian a rassemblé un large choix de livres dédiés à des thématiques très « pratiques ». Par exemple, « Mes deux maisons » consacré au divorce ou « Mes deux papas », explication à hauteur d’enfants de l’homoparentalité.
« Aujourd’hui, poursuit celle qui sillonne à longueur d’année les crèches tremblaysiennes, il y a beaucoup de très bons livres qui sont en effet capables de s’adresser aux enfants sur le thème de la séparation des parents, du décès d’un proche... Des situations que les parents ne savent pas toujours aborder. Alors oui, le livre et la lecture, sont de formidables atout dans le développement des tout-petits et c’est pour cela qu’ils sont très présents dans toutes nos crèches. Et c’est pour la même raison que nous développons un partenariat avec la Médiathèque pour les familles qui ont l’envie d’utiliser le livre comme outil d’éducation. »
Proposer une lecture adaptée à tous les âges
Mais si l’entrée dans la lecture n’attend pas forcément le nombre des années, la prégnance quotidienne des écrans peut vite l’épuiser. Voilà pourquoi, la direction de la jeunesse est venue, elle, rappeler que c’est aussi dans les bons vieux manuels d’annales du bac ou du brevet qu’on peut efficacement réviser ses examens « C’est même un outil essentiel de nos sessions prépa-bac qui rassemblent jusqu’à 60 lycéens par soir à l’approche des examens », rappelle Sonia Yalali, chargée de réussite éducative dans le secondaire au sein de la direction de la jeunesse de Tremblay. Et puis, ajoute-t-elle, on se rend compte que les jeunes continuent d’avoir de l’intérêt pour la lecture si on prend la peine de leur offrir des choses qui sont plus adaptées à notre époque, comme à leurs capacités d’attention. Les mangas, les newsletters les intéressent et, jusqu’à preuve du contraire, c’est bien de la lecture qui peut aussi les amener vers autre chose, d’autres sortes de lectures. »
Y compris « les plus courtes » qui pullulent sur les réseaux sociaux comme le fait remarquer le Tremblaysien « El Négociateur », alias le « Robin des bois de Tik-Tok ». Un personnage masqué qui s’ingénie à négocier auprès de la grande distribution des produits à redistribuer aux sans-abri. Star des réseaux sociaux -avec plus de 1,1 million d’abonnés tous médiums confondus, le vingtenaire venu à ce forum sur la lecture « en Tremblaysien intéressé par le sujet » ne verse absolument pas dans le pessimisme sur la question du désintérêt de la jeunesse pour la lecture : « Certains répètent que les jeunes ne lisent pas ou plus, mais celles et ceux qui sont ici ce soir, avec ou sans leurs parents, prouvent le contraire rien qu’en s’intéressant à ce sujet. Et puis, moi je pense que les sous-titres de TikTok sont de la lecture, que les nouvelles histoires sont sur Snapchat... Une fois dit ça, tout l’enjeu est de pouvoir aller vers de la lecture plus classique au moment où le temps d’attention des jeunes est de plus en plus faible, où les réseaux sociaux cherchent à aller tout de suite vers ce qu’il y a de plus choquant. C’est là qu’il y a un vrai travail d’éducation à mener !»
Bref, bien d’autres pages à écrire pour défendre la lecture à travers le dispositif « Éduquer ensemble », qui nous font, aussi, penser qu’on est très loin, sur ce combat, de lire le mot... fin.
Vu par un écrivain

© Jean-Luc Vallet
« Les bibliothèques, le seul endroit où on peut s’installer sans qu’on ne nous demande rien ! »
Lorsque franchir la porte d’une bibliothèque peut changer une vie... C’est une partie de l’histoire de Soufiane Khaloua, jeune professeur de français à Romainville, venu à la rencontre des Tremblaysiens lors de la soirée-forum de Jean-Ferrat. Un moment crucial de son existence que le trentenaire, également romancier, relate à sa manière dans un livre collectif « D’une bibliothèque à l’autre » (La Manufacture de livres, 2025). Pour lui, tout a commencé à l’âge de l’école primaire par une BD glissée dans ses mains par sa grande sœur. Voici la suite : « J’habitais à la campagne dans un endroit où il n’y avait pas de librairie et je n’étais jamais allé dans cette bibliothèque... Je me souviens que j'ai d’abord été un peu intimidé parce que la bibliothèque était un endroit très silencieux, et je me disais qu'il y avait des règles à suivre et que je ne les connaissais pas toutes... Et puis, ma grande sœur m'a mis dans un coin d’une salle de lecture, elle m'a apporté un livre et elle m'a dit : « Voilà occupe-toi ! » Ce livre, c'était une bande dessinée des « Mystérieuses cités d’or ». Je me souviens que j'avais eu une expression ravie en découvrant ce livre parce que les Cités d’or, c'était un dessin animé que je suivais à la télé à l’époque. Et moi, je regardais beaucoup la télé ! Mais, là, d'un seul coup, je pouvais faire un lien entre la lecture et la télévision. A partir de là, j'ai commencé à fréquenter de plus en plus la bibliothèque, juste avant l'entraînement de foot du mercredi, puis le week-end... Et, aujourd’hui, je continue d’aller dans les bibliothèques parce que c'est un lieu où on peut toujours s'installer sans qu'on ne nous demande quoi que ce soit. Et ça, c'est quand même très précieux, parce que je crois que la bibliothèque d’une ville reste vraiment le seul endroit qui nous offre encore cette liberté... »
