Dans la salle de L’Odéon, les oreilles sont attentives. Face à une quarantaine de spectateurs, six invités font vivre la rencontre. Raphaël Da Cruz, journaliste indépendant, anime la discussion aux côtés de son confrère Khalil. En face d’eux, Philippe Cadiot, programmateur du Café La Pêche, scène musicale municipale de Montreuil, véritable écosystème du paysage artistique et culturel, et lieu de citoyenneté où de nombreux talents ont émergé, dont le rappeur Werenoi disparu en mai dernier. À leurs côtés on retrouve Léo HTAG, photographe et réalisateur de clips pour L’uZine et Souffrance. Enfin, deux membres du label Hall26 et du collectif L’uZine, Tony Toxik, beat maker et Souffrance, rappeur connu pour son univers brutal et authentique.
Avant d’être un groupe de rap, L’uZine est une bande de potes. Chacun faisait ses productions dans son coin, sans imaginer qu’un jour la musique pourrait devenir leur métier. Tony Toxik en est pourtant le moteur artistique. Rappeur à l’époque, il pousse ses amis à écrire et à produire. Entre le hall 26 de la cité Jean-Moulin à Montreuil et leurs premiers textes, Le Café de La Pêche devient leur point d'ancrage. Une scène musicale bouillonnante, mise en place en 1994 par la ville de Montreuil, avec un accès à des outils professionnels, des studios de répétition et d’enregistrement pour trois fois rien à l’époque. « Un lien direct du studio à la scène », explique Philippe Cadiot. Cette scène devient le pilier des artistes montreuillois, mais plus encore, de beaucoup d’artistes du département de la Seine-Saint-Denis. « J’aime que les gens fassent ce qu’ils aiment. C’est pourquoi le Café de La Pêche existe. », confie le programmateur. Alors Philippe Cadiot ne se montre plus comme simple programmateur de la scène, mais comme un véritable mentor aux yeux du groupe de rap L’uZine.
Le prix de la liberté

© Jean-Luc Vallet
Lorsque Souffrance reprend sa carrière de rappeur après une pause de 10 ans, en 2019, il n'y croyait plus vraiment. Il revient pourtant dans le paysage du rap de Montreuil. Il dresse un tableau d’une musique introspective, sombre mais authentique. Les auditeurs sont marqués par ses textes et l’expriment. Pour le rappeur, c’est un véritable électrochoc. Quand vient le moment de finir son premier album solo Tranche de vie, il quitte son CDI pour se consacrer à sa véritable passion, « Pour éviter d’avoir des regrets », raconte-t-il. Son parcours devient celui de la persévérance : la force de l’individu dans le collectif, et la force du collectif dans l’individu.
L’uZine et Souffrance confirment leur statut de plumes incontournables dans le paysage du rap français. Les maisons de disques commencent à s’intéresser à eux, mais ils décident de choisir la voie la plus difficile : rester indépendant et créer leur propre label. Pas de manager. Ils utilisent leurs comptes personnels de formation pour se façonner à l’industrie musicale. « Si tu n’es pas formé, tu ne pourras jamais reconnaître celui qui va te sortir des conneries », explique Souffrance. Il signera le premier dans son label Hall26, sortant L’uZine de cette image underground.
« Mes textes, mon image ne changera pas pour rentrer dans les normes du rap actuel. Si je fais quelque chose de différent, c’est parce que c’est moi qui l’ai décidé. Plus tu as de public, plus tu as de poids sur les épaules. Pour rester soi-même, tu dois parfois accepter de ne pas exploser comme un Damso. » Souffrance ne se considère pas comme un rappeur connu même s’il a rempli l’Olympia. Pourtant ses nombreux auditeurs lui sont d’une loyauté rare.
La boucle n’est pas entièrement bouclée. Le jeune label continue de grandir. Après sa propre signature, Souffrance signe 2L, rappeuse originaire du 20e arrondissement de Paris, aux textes engagés, militants et percutants. Hall26 veut accompagner des artistes qui partagent les valeurs de L’uZine : sincérité, engagement, authenticité. Un positionnement salué par un public qui ne cherche pas seulement à bouger la tête, mais à être touché, questionné, bousculé. « Des artistes qui ne sont pas périssables », conclut le journaliste Khalil.
Souffrance est en concert à L’Odéon samedi 22 novembre à 20h30, première partie assurée par Cenza et Deadi.
