Le groupe de blues rock créole engagé sera au théâtre Louis-Aragon, le 17 mars. Entretien.
Qui était Louis Delgrès, dont vous avez choisi le nom pour votre trio ?
Louis Delgrès était un officier métis de Napoléon Bonaparte qui s’est battu pour la Révolution française. Il était basé en Guadeloupe en 1802, au moment où Bonaparte a voulu rétablir l’esclavage dans les colonies françaises. Combattant pour la liberté, il est entré en rébellion ; encerclé avec 300 de ses hommes, il a préféré se faire sauter plutôt que de se rendre. « Vivre libre ou mourir »… J’ai entendu parler de lui assez tard. Ça m’a paru assez symptomatique qu’un Guadeloupéen comme moi ne connaisse pas son existence… À un moment où, dans ma vie, ça n’allait pas très fort, j’ai repensé à cet homme et à sa dignité, et j’ai écrit une chanson pour lui avant de décider de prendre son nom lors de la constitution du groupe.
Né en métropole, vous avez grandi à Argenteuil dans une famille guadeloupéenne où on écoutait pas mal de musique...
Je suis le dernier d’une famille de six enfants, dans laquelle tout le monde parlait créole sauf moi ! Mon père, musicien amateur, jouait du violon, mes soeurs chantaient. On écoutait de tout, du rhythm and blues, Aretha Franklin, James Brown, de la salsa, de la biguine, du kompa haïtien… Surtout, j’ai eu un parrain qui m’a donné le goût du rock anglais.
Et puis un beau jour, voilà que vous vous mettez à la guitare…
J’avais 15 ans, j’étais en vacances et je m’ennuyais. C’est mon beau-frère, guitariste, qui m’a laissé une guitare et un bouquin avec les premiers accords. Ça a commencé comme ça et ça ne m’a jamais lâché.
Vous vouliez devenir musicien ?
Oui : la musique était si présente dans la famille… Quand il s’est agi de choisir un métier, j’ai fait une licence de musicologie puis je suis devenu professeur de musique au collège, tout en jouant dans des clubs de jazz sur Paris. La suite s’est écrite à Londres, quand j’ai voulu toucher du doigt la musique des Beatles, des Stones. Ça a été une super expérience : j’ai pu jouer avec Peter Gabriel, Gilberto Gil, ou encore Laurent Voulzy lorsque je suis revenu en France. Ensuite j’ai vécu en Hollande. C’est à ce moment-là que commence l’histoire de Delgres, même si cela vient de plus loin et si tout s’assemble comme les pièces d’un puzzle.
C’est-à-dire ?
Bien des années plus tôt, lors de mon premier voyage en Guadeloupe, une cousine de mon père m’a donné la lettre d’affranchissement de mon arrière-arrière-grand-mère : ça m’a mis comme un coup de poing dans le ventre, tout ce passé douloureux qui prend forme dans une lettre. À une autre époque, il y a eu ces sept DVD que Martin Scorsese a consacrés au blues et que j’ai visionnés – c’est fantastique, je les recommande à tout le monde. Enfin, en Hollande, j’essaie une guitare Dobro [une marque de guitare à résonateur, emblématique du blues], et très vite je trouve le chemin de ma Guadeloupe fantasmée, de l’histoire familiale. Voilà les racines du groupe Delgres.
Il y a, avant, le groupe Rivière noire, avec lequel vous remportez une Victoire de la musique en 2015 !
Ça a été une expérience magnifique : on est partis en Afrique enregistrer dans le studio de Salif Keïta. Dans ce groupe, le batteur était Baptiste Brondy, le futur batteur de Delgres…
Comment s’est constitué le groupe Delgres, en 2016 ?
Depuis la Hollande, j’avais dans la tête toutes ces chansons de blues créole que j’ai présentées à Baptiste. Ça a matché tout de suite. J’ai alors pensé que ce serait bien d’avoir une basse, mais pas forcément une basse électrique ; j’ai pensé à un tuba sousaphone [ou soubassophone, un grand instrument de la famille des cuivres apparenté au tuba-contrebasse]. Ça rappelait la Louisiane et le côté carnaval qui emmène tout le monde dans la rue. C’est ainsi que Raphaël Gouthière, alias Rafgee, nous a rejoints.
Votre premier album, Mo Jodi, a été plutôt bien accueilli !
Oui : il a valu au groupe une nomination aux Victoires de la musique en 2019. On a aussi reçu le grand prix Charles-Cros du meilleur album de blues de l’année 2018.
Quels sont les thèmes que vous abordez dans vos chansons ?
J’écris les textes en créole. La connexion avec cette langue me permet d’être à la fois en Louisiane, aux Antilles et en Afrique, avec les ancêtres et avec tous ceux qui ont souffert dans leur vie. L’un des thèmes majeurs de Delgres, c’est la résilience… Il y a aussi l’injustice, la nostalgie, l’amour. Ce sont des thèmes universels que j’ai abordés dans le premier album, à travers le combat de Louis Delgrès. Dans le deuxième album, 4:00 AM, on parle toujours de dignité et de résilience, avec l’installation de ma famille en métropole, l’histoire de ma soeur confrontée au racisme ordinaire. Comment on garde la tête haute et on continue à avancer.
Qu’est-ce qu’on va entendre à Tremblay ?
Essentiellement des titres de nos deux premiers albums ; peut-être qu’on y glissera un peu du nouvel album, que nous sommes en train d’enregistrer. On vient à Tremblay avec plein d’énergie parce que c’est l’un des premiers concerts de l’année et qu’on ne va pas beaucoup jouer en France en 2023.
Delgres. Au TLA, vendredi 17 mars, 20 h 30. Tarifs : 8 € à 17 €.