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Un hommage aux pères de Cavanna et de Putzulu, œuvre fraternelle dédiée à tous les exilés.

Qu’est-ce qui vous a conduit à adapter le best-seller de François Cavanna ?

Cela a commencé, hélas, par la disparition de mon papa, Giovanni, il y a quelques années. J’ai donc commencé à écrire sur lui, et puis le hasard a fait qu’un jour, on m’a demandé de faire une lecture du texte de Cavanna, durant vingt minutes et accompagné d’un accordéon. Là, j’ai compris que c’était ça, que c’était aussi l’histoire de mon père et de mon enfance. C’est né comme ça, du besoin de recroiser mon histoire avec la grande histoire, avec ce qu’a vécu mon papa.

Connaissiez-vous le texte et son auteur avant de l’adapter ?

Non. J’ai souvenir, enfant, que mes deux frères Luigi et Mario avaient lu le livre et en avaient parlé. Les Ritals, c’est l'histoire d'une famille mais ça dépasse l’histoire de l’immigration italienne. La dernière fois que je l’ai jouée sur scène, une dame asiatique est venue me voir et m’a dit : « C’est exactement mon histoire ! » Vous voyez, on sort des frontières ! Ce qui m’a beaucoup touché dans ce texte, c’est l’enfance, la relation de ce petit garçon avec son père. On touche là à l’universel, à l’enfance qui est tapie au fond de nous.

Qu’y a-t-il de vous dans Les Ritals ?

Mon père était sarde. À son arrivée en France, il voulait se fondre dans la population, comme le père de Cavanna, qui ne parlait pas italien à la maison. Ma mère était française, comme celle de Cavanna. Ces deux pères ont francisé leurs prénoms ; le mien, Giovanni, se faisait appeler Jean, celui de Cavanna a transposé Luigi en Louis.

Tous les deux étaient des travailleurs manuels, ma main dans la main dure de mon père… Il y a plein de points communs, jusque dans certaines expressions. Par exemple, j’étais persuadé qu’il n’y avait que mon père pour dire « Et vlak ! » : « Et vlak, il m’est arrivé ça ! » ; en lisant Cavanna, je me suis rendu compte que son père le disait aussi !

Comment ce texte de 1978, qui renvoie aux années 1930, résonne-t-il avec notre époque ?

Ça résonne, ça résonne ! Je le dis à la fin de la pièce : à un moment, il y a eu la xénophobie envers les Italiens, aujourd’hui cela touche d’autres personnes. Ce sentiment n’est hélas jamais très loin : après le coup de boule de Zidane sur Materazzi lors du Mondial 2006, on a entendu des « Sales ritals ! » dans la foulée. Ce n’était pas du tout gentil, hein ! Et ça peut vite refaire surface, et pas seulement en France. L’humain, quand il se laisse aller ainsi, il n’est pas très bon.

Sur l’écriture de Cavanna, vous dites que « c’est une écriture pour les gens de peu »

Oui, une écriture y compris pour les gens de peu, ceux qu’on laisse sur le bas-côté. Cette pièce, elle est destinée à tout le monde et pas seulement à ceux qui sont habitués à aller au théâtre. Tout le monde peut l’entendre, on en fait l’expérience partout où on l’a jouée.

Tenez, à propos de la langue de Cavanna : sa famille nous a ouvert son bureau, où tout est resté en état depuis sa disparition en 2014. C’était un érudit. Des livres, des notes partout. Et en même temps, il y avait de vieilles godasses sur son bureau, des godasses qu’il rafistolait lui-même ! Son écriture, elle ressemble à ça. Elle vient d’un érudit mais aussi de quelqu’un qui travaille avec ses mains.

Quel est le rôle de l’accordéon et de la musique dans la mise en scène des Ritals ?

L’accordéon s’est naturellement imposé car il est présent dans le roman. Deux accordéonistes fantastiques – Grégory Daltin et Aurélien Noël – jouent en alternance sur ce spectacle. C’est Grégory, également d’origine italienne, qui a écrit les musiques pour la pièce. Elles vous prennent au cœur et m’ont aidé à jouer, à ressentir une émotion incroyable.

L’accordéoniste est un personnage à part entière, c’est mon copain d’enfance avec lequel je converse même s’il ne me répond pas : ici, la musique n’est pas simplement une décoration, elle m’entraîne de sujet en sujet. C’est mon frère, Mario, qui signe la mise en scène et qui a eu une idée simple et formidable qui fait tout le spectacle. Je vous la dis, mais ne l’écrivez pas !

Votre italianité, elle se situe où, Bruno Putzulu ?

Cet été, on m’a fait citoyen d’honneur du village de mon père. Cela m’a touché et je crois que ça lui aurait plu. Qu’est-ce qui fait qu’avant un match de la Squadra Azzurra, j’ai toujours envie de pleurer en écoutant Fratelli d’Italia, l'hymne national, et pourquoi je pleure à l’atterrissage et au décollage de l’avion en Sardaigne ? Je ne sais pas, je n’arrive pas à l’expliquer…