On a bien fait les choses à Boris-Vian. Dans la foulée de la Journée du droit des femmes, le 8 mars dernier, les présentoirs sont bien garnis de livres prompts à déconstruire le mythe de la virilité, à éclairer sur le féminisme et l’antiféminisme, avec en bonne place Rage against the Machisme, le dernier opus de Mathilde Larrère. Quel meilleur parachèvement que d’inviter cette spécialiste des révolutions et historienne engagée pour une conférence plus que décoiffante ! Les luttes féministes de la Révolution française à nos jours, avec un temps de parole compté, de sorte que l’oratrice va mettre le turbo : « À partir de 2015, j’ai commencé un cours d’Histoire des femmes à la fac. Ça n’a pas d’emblée passionné les foules, les filles oui, les garçons pas trop ! », introduit-elle. D’un regard, on dénombre à ce moment seulement trois messieurs dans l’assistance ! Raison de plus pour bien écouter Mathilde Larrère… Tiens, elle enchaîne en faisant observer qu’actuellement, le mouvement féministe se fait beaucoup attaquer sur ces questions d’écriture inclusive.
Quel rapport avec le XIXe siècle ? « Depuis la Révolution française, la question de la langue est présente dans la lutte des femmes. Des brochures de cette époque disent qu’il faut reféminiser la langue, lutter contre la masculinisation de la grammaire […]. » C’est bon de se faire rafraichir la mémoire, par exemple dans certains milieux qui rabougrissent l’histoire des mouvements féministes à une lecture par vagues. Il n’y aurait ainsi rien avant les suffragettes, avant la lutte pour le droit de vote qui constituerait une première vague. Celle-là suivie de la seconde vague des années 1970 avec le Mouvement de libération des femmes (MLF) et la bataille du droit à l’avortement puis, enfin, le mouvement #MeToo en dernière vague… Que nenni : « Des femmes qui se battent pour l’égalité femme-homme, pour les droits des femmes, il y en a depuis la Révolution française et il y en aura pendant tout le XIXe siècle ! C’est un moment complètement occulté tout comme sont invisibilisées les luttes des femmes ouvrières dans cette façon de lire l’Histoire. Les suffragettes, les femmes du MLF dont on parle le plus, toutes sont issues de la bourgeoisie. »
Le temps de la conférence passe vite, on voudrait tout retenir, l’instauration du Code civil de Napoléon qui revient sur tout ce que les femmes ont obtenu sous la Révolution de 1789 et qu’il faudra regagner… On traverse les siècles avec Mathilde Larrère qui rappelle que c’est en 1965, seulement, que les femmes obtiennent le droit d’ouvrir un compte en banque ! Bon, l’historienne aura tenté de livrer par séquences tout ce qu’on peut lire dans Rage against the Machisme. Réactions dans la salle ? « Je ne savais pas la moitié de ce que Mathilde Larrère a relaté, c’était très dense ! », lâche Isabelle tout en remarquant que peu d’hommes ont assisté à la conférence. On en attrape un, Alain qui est venu avec sa femme, Anne : « Je ne pensais pas que ces luttes venaient d’aussi loin. C’est une histoire qui mérite d’être écrite et transmise. » Anne, elle, a acheté le bouquin…
« Les programmes scolaires ne font plus assez de place aux luttes sociales et aux luttes des femmes »
Entretien avec Mathilde Larrère, historienne et maître de conférence à l’Université Paris-Est-Marne-La-Vallée. Dernier ouvrage paru : Rage against the Machisme, aux Éditions du Détour.
Qu’est-ce qui vous a mené à devenir une historienne des révolutions ?
J’avais fait ma thèse sur une force de l’ordre du XIXe siècle qui a basculé du côté de la révolution, c’est la garde nationale… parfois d’un ou de l’autre côté des barricades ! Ce qui m’intéressais le plus, c’est justement le moment où elle était révolutionnaire. C’est sur ces objets-là que j’ai commencé à travailler. Ce qui m’a ensuite poussé à continuer, c’est le déclenchement en 2011 des révolutions arabes.
Les thèmes des luttes sociales et de l’Histoire des femmes semblent plutôt absents des manuels scolaires…
Ils sont pourtant très présents dans la littérature scientifique, un grand nombre d’historiens y travaillent. C’est vrai que ça l’est moins dans les programmes scolaires. Dans les derniers programmes de [Jean-Michel] Blanquer [ministre de l'Education nationale], de nombreuses associations d’historiennes et d’historiens du genre ont protesté pour le manque de place accordé aux luttes sociales en général et aux luttes des femmes en particulier. Même si c’est moins le cas aujourd’hui, l’Histoire s’est longtemps écrite au masculin, par les dominants. C’est un enjeu que de raconter cette histoire des luttes.
Vous êtes une historienne très présente sur Twitter où vous donnez parfois de véritables cours. Pourquoi donc ?
Avant d’y intervenir en tant qu’historienne, j’ai commencé à tweeter pour des raisons politiques et militantes. Au-delà, je considère que c’est un espace d’éducation populaire extrêmement utile qui permet de transmettre énormément de savoirs en direction d’un public assez large : des profs, des élèves… Certains de mes collègues le méprisent et c’est plutôt dommage. Le capital culturel, c’est comme le capital en général, ça ne ruisselle pas : Twitter, c’est un moyen de le faire ruisseler. C’est un espace qu’il ne faut pas abandonner à ceux qui instrumentalisent l’Histoire, notamment à l’extrême-droite.