Il est à la fois vidéaste, sculpteur et peintre. Artiste polymorphe, Mohammad Kordi est né en 1984 à Yazd, une ville fondée il y a plus de 2 500 ans au coeur de l'Iran, à 500 kilomètres au sud-est de Téhéran. Entourée de hautes montagnes et de déserts, placée sur les anciennes routes caravanières qui reliaient les grandes villes de Perse à l'Asie centrale, à l'Inde et à l'Irak, Yazd fut pendant des siècles l'un des plus importants carrefours commerciaux de tapis et de soie de la région.
À l'évocation de sa ville natale, le presque quadragénaire a les yeux qui brillent. " Yazd possède un très grand patrimoine culturel et architectural ; elle baigne dans une ambiance artistique. Avoir grandi là-bas m'a énormément influencé ", analyse le créateur, qui, depuis septembre 2022, intervient à l'espace Jean-Roger-Caussimon en qualité de professeur de dessin et de peinture.
Après son diplôme à l'École des beaux-arts de Yazd, Mohammad Kordi a obtenu une licence en sculpture (sa passion depuis tout petit) avant de poursuivre ses études, cette fois en histoire de l'art et en vidéo. En 2012, il s'envole pour Moscou, où il étudie pendant un an à l'université. " Je ne suis finalement pas resté, il faisait trop froid ! Et puis c'était compliqué pour un artiste : il y avait beaucoup de sujets que je ne pouvais pas aborder. Il ne fallait par exemple jamais évoquer le personnel politique dans une oeuvre ", confie l'artiste, qui vit tantôt à Paris dans un appartement prêté par un ami, tantôt à Aubervilliers, où il dispose d'un atelier.
" Va à Paris "
Son arrivée dans l'Hexagone date de 2015. " La France m'inspire depuis l'enfance. Il y a tant d'artistes étrangers qui ont trouvé leur voie ici, comme Guillaume Apollinaire, Pablo Picasso ou Salvador Dali. J'ai lu Les Misérables, les poésies de Rimbaud, les oeuvres de Rabelais et de Marcel Proust. Pour toutes ces raisons, j'avais envie de venir en France ", glisse Mohammad Kordi. Il reconnaît qu'il a été dur de quitter son pays : " Là-bas, j'avais une vie normale, ma famille et mes amis. Mais c'est l'art qui m'a parlé, en me disant : "Va à Paris." Alors je n'ai pas hésité et je suis heureux de mon choix, car ici se côtoient des artistes du monde entier. "
Les récents événements survenus en Iran l'inquiètent. En septembre dernier, une jeune femme a perdu la vie après avoir été arrêtée par la police des moeurs pour un voile mal ajusté. Un décès qui a déclenché un grand mouvement de contestation, mais aussi une violente répression de l'État. " Oui, c'est une dictature, alors que c'est un pays qui compte beaucoup de gens éduqués et qui a longtemps été ouvert sur le monde. Mais la religion y a pris trop de place ", estime Mohammad Kordi, qui aimerait que son pays " adopte la devise française : "Liberté, égalité, fraternité" ".
Quelque temps après son arrivée en France, la pandémie et son lot de restrictions ont évidemment perturbé son travail, mais il s'est accroché. En 2017, il obtient un master 2 en cinéma à l'université Sorbonne- Nouvelle. Il y prépare actuellement un doctorat, après avoir déjà réalisé plusieurs courts-métrages : À côté d'une poignée de terre, Qu'est-ce qui à part Dieu est présent partout ?, Un long sommeil, ou encore Demande.
" Les élèves de Tremblay sont très cultivés "
Ayant déjà exposé à travers le monde, aux États-Unis, en Europe ou bien encore au Moyen-Orient, ce membre d'une famille d'artistes a présenté en 2018, à la D Galerie (Paris), " Fluide ", un dialogue entre six artistes internationaux d'origine iranienne, congolaise, italienne, bulgare et française. L'artiste consacre deux jours par semaine à la préparation de sa thèse et deux autres aux cours qu'il donne dans différentes structures.
Les trois jours restants, il les réserve à son travail personnel. À Tremblay, il intervient une fois par semaine, pour deux ateliers dédiés à la peinture et au dessin. " J'adore enseigner ! Les élèves de l'espace Jean-Roger- Caussimon sont vraiment gentils, à l'écoute et très cultivés. La plupart fréquentent cet atelier depuis une vingtaine d'années. Nous avons travaillé sur l'histoire de l'art, les autoportraits et l'art asiatique. Je ne leur impose en tout cas aucun style, car je considère que chacun doit trouver le sien ", détaille le créateur, qui a déjà visité tous les musées d'art de Paris et précise aimer faire dialoguer le réel et le virtuel.
Quand on lui demande ce qu'on peut lui souhaiter pour l'avenir, il pense spontanément à l'Ukraine : " J'ai envie que cette guerre d'un autre temps s'arrête. Finalement, face à un tel conflit, l'art apparaît bien secondaire... " Sur le plan personnel, il espère avoir une vie tranquille, finir ses études, et organiser encore le plus d'expos possible. Et surtout, à terme, " pouvoir vivre de [son] art ".