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Ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, Alain Gresh, spécialiste du Proche-Orient a passé à la moulinette de son expertise le conflit israélo-palestinien. Donnant quelques clés historiques et psychologiques pour mieux saisir son actualité.

La Municipalité avait convié, jeudi 13 février, le journaliste et écrivain Alain Gresh à ausculter les raisons et les évolutions du conflit israélo-palestinien. « Il est ici parce qu’il est sans doute le meilleur spécialiste français du Proche-Orient », glissait le maire François Asensi au moment des présentations. « Heureux d’annoncer » aussi aux Tremblaysiens que la « Ville de Tremblay va accueillir deux étudiants palestiniens de Gaza qui pourront étudier, chez nous, en paix. » Loin donc d’un conflit meurtrier suivi de près par l’ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fondateur du site OrientXXI et auteur entre autres de « Palestine. Un peuple qui ne veut pas mourir » en 2024 (Éditions Les liens qui libèrent). Alain Gresh est en effet un spécialiste reconnu de ce conflit qui « dure depuis trop longtemps » éclairé d’une lumière nouvelle à Jean-Ferrat devant près d’une centaine personnes auxquelles il a livré ses « clés pour comprendre. » 

En voici quelques-unes, qui comme le résumait « un vieux Tremblaysien » en sortant de cette conférence très dense « m’ouvrent une autre manière d’écouter ce qu’en disent les soi-disant spécialistes Télé de la question… »

La clé de voute ou les origines d'un conflit 

Pour mieux comprendre les origines de la guerre qui déchire Israéliens et Palestiniens, il faut d’abord rappeler que « la formation d’Israël repose sur un colonialisme de peuplement », rappelle presque d’emblée Alain Gresh. « Et, ce qu’on ne rappelle pas non plus très souvent aujourd’hui, c'est qu'une des raisons pour lesquelles les Juifs vont immigrer en Palestine en plus grand nombre, c'est parce qu'on leur a interdit d'émigrer en Europe et aux États-Unis. En 1924, les États-Unis ont en effet adopté des lois sur l’immigration très restrictives qui visent avant tout les immigrés juifs. Donc, ce n’est pas tellement par amour de la doctrine sioniste que de plus en plus de juifs vont s’installer en Palestine, c'est surtout parce qu'ils n’ont pas d'autres endroits où aller… » 

Un premier point historique qui n’est pas à négliger. Tout comme les origines du sionisme, un mouvement politique qui naît à la fin du XIXe siècle, et qui défend l'aspiration à un territoire pour le peuple juif. Alain Gresh toujours : « Pendant la Première Guerre mondiale en 1917, les Britanniques font une promesse, qui va être formalisée par Lord Balfour, le ministre des Affaires étrangères britannique, de favoriser la création d'un foyer national juif en Palestine. Il répond ainsi à une demande du mouvement sioniste, lequel pense qu'il faut créer un État pour le peuple juif et qu'il faut installer cet État en Palestine, au nom de ce qui est écrit dans la Bible. Plus largement, le sionisme, même s’il a différentes formes, c'est en résumé l’idée qu’il faut organiser un retour des Juifs sur le territoire de la Palestine. Au départ pourtant, certains juifs ne pensaient simplement qu’à créer un centre culturel ou un foyer culturel en Palestine. Mais, par la suite, le mouvement sioniste a évolué vers sa forme actuelle, nationaliste, en même temps qu’il aépousé l’aspiration des États indépendants à sortir de la mainmise des empires. Toute cette histoire fait qu’aujourd’hui, il y a eu plusieurs responsables américains de l'administration Trump qui ont assuré que la Bible donne aux Juifs des droits historiques sur la Palestine. Mais, la Bible, c’est un texte religieux auquel on n'est pas obligé de croire… » 

Un peuple mis sous clés

Dans l’histoire du conflit israélo-palestinien, le 7 octobre 2023 a « été un moyen pour le Hamas de remettre la question palestinienne au cœur de la diplomatie, explique Alain Gresh. Car, il faut se souvenir que quelques semaines auparavant le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou faisait un discours devant les Nations Unies pour parler de la paix au Proche-Orient en présentant une carte où Israël avait littéralement englouti la Palestine... Donc, brusquement, Américains et Européens vont redécouvrir la solution de deux États israélien et palestinien quelques semaines après le 7 octobre et alors qu’Israël enchaine les bombardements sur Gaza. Une question qui avait aussi assez largement disparu au sein de l’opinion publique. » 

Une opération du 7 octobre 2023 qui « est avant tout une opération militaire », poursuit Alain Gresh. « Car, ce jour-là, enchaine l’ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique, le Hamas s’attaque à la ceinture de Gaza, tous ces postes militaires qui mettent Gaza sous blocus depuis 15 ans. Dans cette opération, il y a des crimes de guerre car la prise d’otages est un crime de guerre du point de vue du droit international. Mais, on ne peut pas avoir une vision désengagée de ce qui s’est passé à ce moment-là. D’abord, il y a eu l’action des commandos du Hamas et ensuite la frontière s’est ouverte et il y a eu des milliers de Palestiniens de Gaza qui ont traversé cette frontière qu’ils ne pouvaient plus traverser. Là, ils ont pillé parce qu’ils manquaient de tout. Et ils ont aussi pris des otages parce qu’ils ont des membres de leur famille, détenus administratifs retenus en Israël. Des gens qui sont en « taule », sans être jugés presque advitam aeternam. Eux aussi sont des otages ! Et puis, il y a la simple vengeance : des gens qui tuent des civils en disant « ça c’est pour mon père, ça c’est pour mon frère... » Bien sûr, ce n’est pas « bien » d’agir de la sorte, mais on ne peut pas faire comme si cette vengeance venait de nulle part...»  Pourquoi ? « Parce que toute l’histoire récente de Gaza est une histoire d’expulsions et de massacres : en 1956, des historiens ont, par exemple, documenté les actions de l’armée israélienne alignant des dizaines de civils contre les murs et tirant dessus. Évidemment, c’est aussi une des clés essentielles pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui à Gaza… » 

2025, une année clé ? 

Si en 2013, le correspondant à Beyrouth du journal britannique The Independent a jugé que le travail d’Alain Gresh dans Le Monde diplomatique « est, ou devrait être, une lecture essentielle pour tous les politiciens, généraux, officiers du renseignement, bourreaux, et tous les Arabes de la région », pas question pour Alain Gresh de jouer les oracles... 

Devant la centaine de personnes réunies à Ferrat, il a donc répété que « l’histoire n’était jamais écrite. Je ne sais pas ce qu’il se passera dans 15 jours, ni dans trois ans à Gaza. Mais, une chose est sûre, c’est qu’il faut continuer de se mobiliser, résister pour ne pas laisser la question palestinienne disparaître, se « dissoudre » dans l’opinion publique. » 

Aujourd’hui reconnue comme État indépendant par 146 pays, soit près de 75 % des 193 États membres de l’Organisation des Nations unies, la Palestine reste en effet, en 2025, occupée militairement sur l’intégralité de son territoire (bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est) par Israël. 

Alors, question clé pour finir : comment faire évoluer la situation ? « Comme je le dis parfois de manière un peu provocatrice, répond Alain Gresh, que si le Hamas est terroriste parce que ses membres ont tué des civils, il ne l’est qu’à l’échelle artisanale alors qu’Israël doit être vu comme un État terroriste à l’échelle industrielle, pour avoir tué des dizaines de milliers de gens. (...) Ce que je veux dire par là, c’est que le terrorisme est une espèce d’injonction permanente dans cette guerre pour dire que les Palestiniens qui résistent sont le mal incarné, qu’ils sont complètement fous et qu’il faut donc les éliminer », plaide encore le conférencier. 

Et d’enchaîner : « Moi, je ne connais pourtant pas de guerre, où des deux côtés, on n’a pas commis de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le 21 février, prochain on commémorera par exemple l’action du Groupe Manouchian, fusillé par les Allemands en 1944, qui lorsqu’ils se sont attaqués à des officiers allemands, ont aussi tué des civils. Mais, est-ce qu’on remet en cause aujourd’hui leurs actions ? Non… Donc, je continue de penser que le conflit israélo-palestinien a des causes politiques et qu’il y a des solutions à ce conflit. La clé de ce conflit, rappelons-le, c’est un peuple à qui on refuse le droit à l’autodétermination. Alors, tant que les Palestiniens seront opprimés, tant qu’on leur refusera un État, on aura des guerres, des conflits, des attentats... Pour résoudre ce conflit, il faut appliquer le droit international -qui n’est pas appliqué redisons-le- entrainant une espèce de guerre perpétuelle qui est catastrophique pour les Palestiniens, comme pour les Israéliens. » 

Une conclusion qui déclenche une salve d’applaudissements, mais pas la fin du débat qui va encore se poursuivre en quittant la salle pour une séance de dédicaces des livres d’Alain Gresh. La suite et quelques autres clés essentielles pour mieux comprendre ce conflit sont à retrouver justement dans les livres de l’auteur. Entre autres dans « Israël, Palestine, vérités sur un conflit »

Paroles de Tremblaysiens

« Allez aux manifestations pour la Palestine, ne restez plus chez vous ! » 

À l’issue de la conférence menée par Alain Gresh, les échanges avec les Tremblaysiens ont souvent tourné vers la meilleure manière de retrouver de l’espoir, « d’aller enfin vers la paix » au Proche-Orient. « En se mobilisant plus dans les manifestations, en étant 500 000, plutôt que 5 000 personnes, il faut qu’un maximum de voix se fassent entendre pour dénoncer les agissements d’Israël. Allez aux manifestations, ne restez plus chez vous », a ainsi martelé un habitué des manifestations en soutien à la Palestine. D’autres dans la salle ont interrogé « le rôle que pourraient jouer à l’avenir les nouvelles générations d’étudiants juifs qui, aux Etats-Unis, dénoncent l’attitude d’Israël, commettant un génocide à Gaza. » Un rôle observé très attentivement par Alain Gresh qui entrevoit aussi une solution du côté de l’Arabie Saoudite où la famille royale régnante « a compris que le monde a changé et commence à entendre sa jeunesse sensible à la cause palestinienne  » Une force nouvelle dans le jeu diplomatique mené autour de la question palestinienne dont l’avenir dira si elle peut ou veut jouer un rôle clé.