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Devant plus de 300 personnes et accompagné de nombreux élus, le maire François Asensi a rappelé que « Missak Manouchian a fait une incroyable démonstration de conscience politique et d’élévation d’esprit devant l’ennemi, dans une lutte à mort entre deux visions du monde […] Entrant au Panthéon à côté de Victor Hugo, Jean Jaurès, Jean Moulin, c’est sa prophétie qui se réalise lorsque dans sa dernière lettre il écrit : «  Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement ».

Un moment d’Histoire partagé avec la jeune génération puisque les enfants des écoles Eugénie-Cotton et Pierre-Brossolette, les élèves du collège Descartes, les enfants du centre social Louise-Michel et des accueils de loisirs ont participé à la cérémonie, aux côtés des associations d’anciens combattants et du Souvenir Français, du Parti communiste et de la CGT 93. Les initiatives mémorielles vont se poursuivre. Nous y reviendrons. 

Hommage à Manouchian

Discours de François Asensi 
21 février 2024

« Je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand » écrit Manouchian alors qu’il est sur le point d’être fusillé par des soldats de l’armée allemande. Face à la mort, il fait une incroyable démonstration de conscience politique et d’élévation d’esprit devant l’ennemi dans une lutte à mort entre deux visions du monde.

Quatre-vingt ans après son exécution, Manouchian rentre au Panthéon.

Cette reconnaissance officielle de la Nation répare trois anomalies.

La première : c’est le premier étranger qui entre au Panthéon et ceux-ci étaient très nombreux dans la résistance. La deuxième : c’est le premier communiste qui reçoit cet hommage rendu aux grands hommes. La troisième : c’est que Manouchian sera le premier à représenter au Panthéon les fusillés du Mont-Valérien parmi le millier à y avoir été assassinés.

Qui était Manouchian, cet immigré à qui l’on refuse la nationalité, qu’on fusille comme « terroriste »  et qu’on fait rentrer au Panthéon aujourd’hui ?

Né en 1906 dans l’empire ottoman, c’est le dernier d’une famille de paysans arméniens de quatre enfants. Premier traumatisme : il voit ses parents disparaitre dans le génocide des Arméniens. Il devient orphelin et n’a pas 10 ans.

Il va être accueilli dans un orphelinat au Liban. Sa chance, ce sera de rencontrer un instituteur qui lui apprend le français, qui lui donne le goût de la littérature et de la poésie française.

C’est tout naturellement qu’il voudra quelques années après émigrer et s’installer en France dans la patrie des Droits de l’homme avec l’idée de consacrer sa vie à la littérature et à la poésie ; il n’avait naturellement nulle envie de prendre les armes.

Il n’a pas 20 ans quand il débarque à Marseille. Il est tellement heureux d’aller en France que la première chose qu’il fait c’est d’écrire un poème dédié à la France : Vers la France. Il laisse derrière lui, écrit-il sa « noire conditions d’orphelin tissée de misère et de privation ». et il ajoute : « je suis encore adolescent ivre d’un  rêve de livre et de papier ».

Il gagne Paris et exerce des métiers d’ouvrier parce qu’il faut bien manger mais c’est fondamentalement un intellectuel amoureux des arts et assoiffé de culture : il suit des cours du  soir à la Sorbonne, fréquente les universités ouvrières, la bibliothèque Sainte-Geneviève, côtoie les milieux culturels de son époque.

Il pratique la gymnastique et entretient son corps d’athlète au point de servir parfois de modèle aux jeunes peintres et sculpteurs de Montparnasse. Mais il n’oublie pas ses origines en participant à la création d’un comité de secours à l’Arménie naissante, issue de la révolution soviétique.

Deuxième choc pour lui : il perd son frère, Garabed, de la tuberculose en 1927 auquel il était très attaché. Manouchian accuse le coup mais il surmonte. C’est un résilient.

Il s’engage dans la vie sociale de son pays de cœur en adhérant à la CGT car il n’oublie pas qu’il est ouvrier. La CGT à l’époque organise les travailleurs immigres par groupe de langue. Ainsi il va diriger un journal en direction des travailleurs arméniens de France. Son goût des lettres va même le conduire à créer une revue littéraire. C’est dans ces activités qu’il rencontre Mélinée celle qui sera son épouse, orpheline du génocide arménien comme lui.

Il aime bien la France pour sa culture, son histoire, les Lumières, la Révolution française mais la France ne le lui rend pas. Deux fois il va demander la nationalité et deux fois on la lui refuse.

Troisième choc pour Manouchian : la tentative putschiste des ligues fascistes du 6 février 1934 contre l’Assemblée nationale qui fait 15 victimes à Paris. C’est une date très importante pour tous les antifascistes. Comme toujours Manouchian réagit : il adhère au parti communiste qu’il considère comme le principal mouvement antifasciste.

Il sera prêt à s’engager dans les Brigades internationales Sa hiérarchie ne le souhaite pas. Elle tient à conserver en France des cadres de valeur.

L’émergence du fascisme qu’il voit progresser en Europe, c’est tout le contraire de la poésie, de ce qu’il aime, de ce pour quoi il est venu en France. Et comme le dit sa petite nièce, « Missak était un poète et pour lui cela n’allait pas de soi d’ôter une vie et s’il est entré en résistance sans regret, cela n’a jamais été simple pour lui ».  Mais pour celui qui avait survécu à un génocide, le combat relevait d’un engagement plus que naturel : c’est un engagement existentiel.

Lorsque la guerre est déclarée, il s’enrôle dans l’armée française. Et lorsque la France demande l’armistice, après le retour à la vie civile, il va continuer la lutte armée dans la clandestinité au sein de la résistance étrangère des FTP-MOI.

Il va se battre jusqu’au sacrifice de sa vie. Ils sont une poignée et pendant huit mois, de mars à novembre 1943, au mépris des risques, il va avec ses hommes multiplier les coups et infliger des humiliations aux troupes d’occupation allemandes au rythme d’une action tous les deux ou trois jours : jets de grenades, attaques de convois, sabotages divers jusqu’à l’exécution d’un haut responsable nazi, proche d’Hitler, Julius Ritter organisateur du STO en France, le service du travail obligatoire.

Entre juillet 1942 et novembre 1943, on estime qu’ils ont réalisé 229 actions. Pourtant, dans les trois derniers mois, ils n’étaient plus que 65 combattants, presque tous étrangers.

Malheureusement, la police française qui les traque a une longue expérience des filatures. Elle est très efficace.

C’est elle qui arrête Manouchian et son chef, Joseph Epstein le 16 novembre 1943. La Brigade spéciale chargée des filatures les avait repérés depuis plusieurs semaines. Ils sont torturés, livrés aux Allemands, condamnés et fusillés au Mont-Valérien le 21 février 1944.

Les nazis vont faire une campagne d’affichage pour les qualifier de délinquants venus de l’étranger.

Une affiche sur fond rouge, la couleur du sang, présente 10 visages de soi-disant terroristes. Mais à trois mois du débarquement en Normandie les Français ne pas dupes. Les affiches se couvrent de graffitis. Mais Manouchian ne verra pas la victoire.

Au moment de mourir, il va écrire à sa femme une lettre inoubliable. Cette lettre reste l’un des plus grands moments de la littérature épistolaire. Comme celle d’Olga Bancic que vous avez entendue. Vous les retrouverez dans le livret que nous mettons à votre disposition.

Après-guerre, grâce aux grands poètes de l’époque, Manouchian et ses hommes vont rentrer dans la postérité. Paul Eluard, est le premier dès 1951 à écrire un poème en hommage à Manouchian. Il s’appelle Légion.

Il sublime le destin de ccs étrangers qui « avaient dans leur sang le sang de leur semblables ».

« Leurs portraits sur les murs sont vivants pour toujours » écrit encore Eluard.

Louis Aragon écrit une poésie, Strophes pour se souvenir. Léo Ferré la met en musique pour en faire une chanson.  

Il l’appelle l’Affiche rouge. La chanson sera un succès et reprise par des multiples artistes.

Ce poème et cette chanson vont jouer le même rôle fondamental que celui du discours d’André Malraux lors de l’entrée de Jean Moulin au Panthéon : ils magnifient le sacrifice de Manouchian et de ses hommes.

Manouchian entrant au Panthéon à côté de Victor Hugo, Jean Jaurès, de Jean Moulin, c’est sa prophétie réalisée : « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement », avait-il écrit, visionnaire.

C’est un symbole puissant que nous vivons aujourd’hui : un étranger apatride à qui l’on a refusé deux fois la nationalité revient par la grande porte au Panthéon des grands hommes de la Nation reconnaissante.

Malgré les refus de le reconnaitre comme Français à part entière, Manouchian avait conservé foi en la France et il avait raison.

Manouchian, c’est une vocation de poète contrarié ; un destin exemplaire fracassé par l’histoire : lui qui ne rêvait que de lettres et de poésie, de culture et de liberté échappe à un génocide, pour tomber les armes à la main comme son père contre d’autres génocidaires.

Manouchian, c’est un grand patriote qui rentre dans la légende pour défendre la liberté ; il trouve cette formule incroyable au moment de mourir : « Bonheur à tous ceux qui vont nous survivre ».

C’est un message de vie et d’espoir pour une civilisation qui souhaite progresser ; c’est un comme un vaccin de paix et d’antiracisme ; c’est un message actuel parce qu’il est universel.

L’histoire de ces héros anonymes, c’est une histoire qui nous concerne tous. Elle pourrait être celle de n’importe quelle famille tremblaysienne puisque la France a toujours été une terre d’accueil et de mélange.

Rien ne prédestinait ce groupe à prendre les armes ; ils n’étaient pas venus en France pour s’enrichir, ni pour se couvrir de gloire mais quand on a menacé leur droit de vivre dignement, de vivre simplement debout, ils n’ont pas hésité à risquer leur vie. Cet engagement pourrait être celui de dizaines de familles tremblaysiennes confrontées à la même menace ; cet engagement pour la liberté et pour la justice correspond pleinement à l’identité que nous voulons donner à la ville.

A Tremblay, nous avions anticipé depuis longtemps l’importance qu’il faut accorder à Manochian et à ses hommes dans notre histoire nationale : la place Manouchian existe depuis presque 20 ans à Tremblay.

Nous accueillons une exposition réalisée par le Musée de la Résistance Nationale pour deux semaines et nous allons ensuite la prêter au lycée Léonard de Vinci ; nous publions un livret pédagogique avec l’objectif de transmettre quelques repères ;

nous projetons le film « L’armée du crime » de Robert Guédiguian au cinéma Jacques Tati à l’intention des scolaires ; nous emmenons les jeunes visiter le Panthéon et le Mont-Valérien ; nous allons essayer d’organiser une conférence-débat avec un spécialiste ; nous faisons participer les jeunes des centres de loisirs à cet hommage comme vous pouvez le constater aujourd’hui.

Pourquoi nous voulons apporter une contribution forte à cet hommage national ? Parce que ces hommes ont porté très haut la devise républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité mais ils y ont ajouté plus encore : les valeurs du vivre ensemble et de résistance à l’oppression.

Le groupe Manouchian était constitué de multiple origines et nationalités : française, juive, arménienne, italienne, espagnole, polonaise, roumaine, hongroise, toutes unies dans le combat  commun pour la liberté.

Attiré par le pays des Lumières, par la Révolution française, par la patrie des Droits de l’homme, ils n’ont fait que mettre en actes « la résistance à l’oppression » prévue très explicitement par l’article II de la Constitution de 1789.

L’histoire de Manouchian et de l’Affiche rouge, c’est en effet celle plus fondamentale de la résistance à l’oppression. Tout le groupe Manouchian porte la marque de ce droit constitutionnel fondamental. 

Voilà ce que des hommes et des femmes venus d’horizon différents sont venus chercher et défendre en France : la liberté, la justice, le vivre ensemble et la résistance à l’oppression. Voilà le message universel que nous voulons à Tremblay transmettre aux jeunes générations.