Danse
Quand la danse entre en prison
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Des rangs de chaises alignées font face à un décor sobre – un immense tapis –, des techniciens s’affairent pour le son, des instruments de musique sont posés à même le sol. Une représentation s’annonce dans le gymnase de la maison d’arrêt de Villepinte. La compagnie Mawguerite du chorégraphe Bernardo Montet, en résidence au théâtre Louis- Aragon, s’apprête à y jouer O’More devant une vingtaine de détenus.
Dix d’entre eux avaient participé quelques jours plus tôt à un atelier animé par le chorégraphe, assisté de l’un de ses danseurs Marc Veh. Ils avaient été initiés aux fondamentaux de la danse : le temps et l’espace.
Tandis que les danseurs et musiciens finissent de se préparer dans les vestiaires, les détenus arrivent au compte-goutte, se saluent et prennent place. Puis, la musique gnawa, emplit la salle aux hautes fenêtres, qui laissent filtrer les rayons du soleil, le spectacle commence.
O’More revisite le drame d’Othello, le Maure, seul héros noir du théâtre classique qui, induit en erreur, tuera sa femme par jalousie. Cinq danseurs, accompagnés par trois musiciens gnawas, interprètent chacun à leur manière cette figure shakespearienne.
Shakespeare et la transe
« Pourquoi Shakespeare ? », demande un détenu alors qu’une discussion s’instaure à la fin de la pièce. « Ce que j’aime chez Shakespeare, c’est qu’il parle de choses très mythologiques, répond Bernardo Montet. Je voulais travailler sur Othello car je voulais aborder la question de savoir comment devient-on étranger à soi-même au point de commettre l’irréparable. Qu’est-ce qu’aller au bout de soi-même ? C’est une histoire de violence mais, il y a la musique gnawa qui est une musique thérapeutique. »
Anouar, un jeune détenu, s’inquiète de l’effet que peut provoquer la musique gnawa, musique de transe, chez des spectateurs non avertis. « Faut faire attention, vous ne savez pas comment les gens peuvent réagir », s’alarme-t-il. « C’est vrai, reconnaît Bernardo Montet, et ça nous est déjà arrivé, au Sénégal. Mais, il s’agissait de femmes déjà familiarisées avec l’état de transe. Le maître gnawa est là pour accompagner la montée et la descente. »
Le maître Gnawa, le chef des musiciens, Mohamed Akharraz explique qu’un spectacle ne réunit pas les conditions pour entrer en transe, qu’« on ne peut pas tomber dans la musique comme ça ». Cette musique apportée au Maroc par d’anciens esclaves d’Afrique subsaharienne est traditionnellement accompagnée de tout un rituel qui dure des heures et qui commence par le sacrifice d’un mouton.
Alice Simon est la coordinatrice culturelle de la maison d’arrêt. C’est elle qui y organise toutes les activités, - les détenus lui réserveront une salve d’applaudissements à la fin de la rencontre. Elle a noué des partenariats avec nombre d’associations, de théâtres, de festivals franciliens (le théâtre Louis-Aragon, le théâtre Gérard- Philipe de Saint- Denis, le festival de cinéma Côté court de Pantin, la médiathèque de Villepinte, etc.).
Les activités (cinéma, théâtre, jardinage, etc.) se déroulent en petit groupe de 15 au grand maximum et la direction valide toute demande de participation. « Quand elle est refuse pour des questions de dangerosité d’un détenu ou parce que certains détenus condamnés pour des faits [en relation avec des questions de] terrorisme ne peuvent pas se retrouver ensemble, c’est normal, indique la jeune femme. Par contre, ce ne peut pas être pour des questions de comportement. Il y a encore des surveillants qui pensent que les activités sont un avantage et que les priver d’activité, c’est une punition. Non, la culture est un droit. »
Budget en berne
Christian est ravi. Il ne connaissait pas la danse contemporaine. Il s’est inscrit à l’atelier (intitulé « expression corporelle », il est vrai) sans trop savoir à quoi s’attendre. Il a été séduit. « Je pense que le fait d’être enfermé joue, affirme-t-il. Je ne sais pas si je me serais autant intéressé sinon, mais le fait d’avoir fait l’atelier et d’avoir vu le spectacle après, c’était vraiment bien. »
Cela fait plusieurs années que le théâtre Louis-Aragon travaille avec la maison d’arrêt. En 2014, Bernardo Montet y avait animé une session de cinq ateliers sur plusieurs semaines. Des détenus étaient également allés voir sa pièce Lux Tenebrae au théâtre, à Tremblay. Cette année, alors que les budgets des collectivités sont en berne, seul un atelier a pu être financé.
Auteur : Mathilde Azerot